mercredi 23 mai 2007 par Le Nouveau Réveil

Les dirigeants actuels de notre pays ne semblent guère avoir tiré les enseignements de la longue crise qu'a connue notre pays ces vingt dernières années et qui nous a conduit au 19 septembre 2002. Cette crise qui est avant tout une crise des valeurs tire sa source du malaise profond constaté dans notre société et dont l'école va s'en faire l'écho sonore. Peut-on dès lors s'étonner que les principaux acteurs de cette crise soient tous ou des enseignants ou des anciens étudiants ? L'illustration est faite avec les deux plus illustres que sont le président actuel (GBAGBO) et l'actuel premier ministre (SORO). Avec l'arrivée au pouvoir du FPI, on n'a pas hésité à parler de la république des enseignants. Cette caractérisation est d'autant plus justifiée qu'en plus de la présidence de la république, l'on retrouvait à la tête des différents ministères, à l'hémicycle de l'assemblée nationale comme à la tête de nombreuses directions et de nos représentations diplomatiques, les maîtres de nos universités et écoles.
Ils étaient pour la plupart des anciens leaders de nos syndicats de l'enseignement, certains s'étant illustrés très éloquemment par leur activisme et leur opposition au régime PDCI, dans le cadre de la lutte pour la défense des intérêts matériels et moraux de leur corporation. La cause était si noble qu'aucun enseignant ne pouvait ne pas y adhérer. Aussi, en 1989, face aux mesures visant à réduire les salaires, les enseignants se sont constitués en bouclier humain au nom de tous les travailleurs de notre pays afin de faire échec à ce funeste projet. Nombre d'entre eux ont passé loin de leur famille des nuits entières dans un camp militaire de la place. On ne compte plus les brimades subies par les enseignants, les menaces et autres chantages orchestrés à l'époque par le pouvoir en place afin d'avoir raison de cette catégorie sociale. Peut-on raisonnablement s'étonner de voir que dans le combat pour la démocratie multipartisane ce soit, là encore, les enseignants qui furent à l'avant-garde de la lutte ? Ce sera encore l'école après la restauration du multipartisme qui paiera le prix fort dans la défense de notre liberté. Souvenons nous " des dégâts " causés par les forces de l'ordre sur le campus de Yopougon. Les enseignants ont été de tous les combats chaque fois qu'il s'est agi de militer à la requalification du vécu quotidien du peuple. La création de la FESACI n'est-elle pas la parfaite illustration ?
Ils sont à l'origine du vent de liberté qui souffle sur ce pays et sur son peuple depuis 1990. Ce rappel s'avère utile pour restituer, d'une part, la vérité historique afin que tous ceux qui taxent les enseignants de dangereux rêveurs se ravisent. D'autre part, nous voulons par ce rappel de la mémoire consensuelle que nous avons tous en partage, faire comprendre aux dirigeants actuels, d'où ils viennent. C'est grâce au rêve de ces rêveurs dangereux que certains qui n'avaient jamais rêvé un jour de leur vie, ont vu leur rêve se réaliser (ils se sont retrouvés du jour au lendemain au commande de ce pays).Comme quoi, aucune réalisation n'est possible sans rêve. Les Ivoiriens viennent maintenant de comprendre pourquoi le FPI a échoué. Les enseignants ont offert et continuent d'offrir, en dépit de la situation que traverse le pays, leur vie en sacrifice, pour que ne soit pas interrompue la chaîne des générations, c'est-à-dire la chaîne de transmission du savoir et de la connaissance. Ils l'ont fait sans calcul, mais ils l'ont fait aussi sans faiblesse pour le bien de toute la communauté nationale. Et, ce ne sont pas les élucubrations des uns et des autres et les agitations de quelques groupes manipulés que l'on constate depuis quelques heures qui auront raison d'eux.
Il est vrai que le général GUEI, après le putch militaire qui l'a porté au pouvoir avait dénoncé (comme une des causes de cet hold up politique) les conditions de vie des militaires dans les casernes. En reconnaissance à ce corps auquel il appartient, il a aussitôt pris, sans bruit, malgré le contexte économique difficile, et sans exposer ses pairs, des mesures pour corriger cette situation. Avec l'arrivée des nouveaux dirigeants de la deuxième république, d'autres corps de métier ont aussi connu une amélioration des conditions de vie de leurs membres sans que les heureux bénéficiaires ne soient traînés et traités de rêveurs devant le peuple. Pourquoi veut-on ici opposer les enseignants au peuple et aux autres corps sociaux? Pourquoi le pouvoir FPI, composé en majorité d'anciens responsables du SYNARES fait-il autant de bruits autour de quelques revendications qui ne sont point nouvelles ? Pourquoi veut-on couvrir coûte que coûte cette injustice criante (la non reconnaissance du doctorat ) faite aux enseignants et chercheurs depuis des lustres ? Si l'on reconnaît cette injustice, au regard des derniers décrets pris, pourquoi se refuse t-on d'appliquer les mesures idoines qui s'imposent afin de réparer ce tort ? De qui et de quoi a-t-on peur ? Enseigner signifie t-il faire v?u de pauvreté ?
On peut comprendre que le grand public méconnaisse les conditions de vie et de travail de nos universitaires dans nos universités. Il est cependant difficile de justifier l'indifférence et le mépris qu'affichent les autorités actuelles censées mieux connaître les réalités de notre milieu. Car si tout le monde s'accorde à dénoncer l'état de nos hôpitaux et les conditions d'accueil dans ces centres, comment peut-on rester muet et insensible face à l'état de dégradation physique et morale des lieux où sont soignés les esprits et des hommes à charge de dispenser ces soins ? Le corps et l'esprit ne forment-ils pas un tout ? Le corps ne vaut-il pas que par l'esprit, et vis versa ?
Nos universités sont devenues aujourd'hui des grandes foires et nos enseignants de vulgaires charlatans des temps modernes par la volonté des nouveaux dirigeants. A la vérité, l'on doit de reconnaître, que malgré tout ce qui a été dit sur le combat des enseignants, c'est sous le régime PDCI que l'école, et partant, les enseignants ont conquis leurs lettres de noblesse. Aujourd'hui, toutes les attentions du pouvoir sont portées vers " les agoras ", " les parlements " et " les sorbonnes " au détriment des écoles et universités. Il a raison celui qui a banalisé le doctorat car si ce diplôme avait une quelconque valeur, les enseignants n'échangeraient pas la craie pour les bureaux douillets de la présidence de la république ou des cabinets ministériels. C'est à croire que ceux qui se moquent aujourd'hui de l'école se sont joués, des années durant, de la naïveté de la majorité des enseignants qu'ils ont abusivement utilisés pour assouvir leur ambition personnelle de pouvoir. Il va sans dire que ceux des enseignants qui n'auront pas la chance de s'échapper de cet univers carcéral devront se contenter de leur sort, c'est-à-dire, la mort. Cette mort qui est soit physique, soit intellectuelle est liée aux effectifs pléthoriques d'étudiants démotivés et agglutinés dans des salles exigues, surchauffées, mal éclairées et sans aération. Ce sort mortel, ce sont aussi les cours interminables qui s'étendent tard dans la nuit, et ce, tous les jours de la semaine (le dimanche y compris), des années qui ne finissent jamais, des milliers de copies à corriger et aucun local (bureau) permettant à l'enseignant de souffler aux heures de pause. Le sort des enseignants semble désormais scellé : en moins de 7 ans, le nombre de décès dans le milieu enseignant s'est considérablement accru. Les frustrations liées au nombre d'années d'étude en rapport avec la situation salariale, l'absence de véritables vacances, l'angoisse du lendemain, le stress, la peur, la fatigue physique et intellectuelle, les violences verbales et physiques, les agressions, l'insécurité sur l'espace universitaire, la démotivation et le découragement sont, entre autres, quelques maux qui ont fini par avoir raison de cette corporation qui semble être aujourd'hui à bout de souffle. Cet essoufflement s'expliquerait, non seulement par le combat mené durant plusieurs années pour la conquête de sa dignité, mais aussi et surtout par la grande désillusion qu'elle est en train de vivre. Elle qui croyait avoir depuis 2000 remporté, cette autre bataille n'a aujourd'hui, comme nos paysans, que ses yeux pour pleurer. Les décrets fumeux et brumeux pris sans concertation ne sont-ils pas le signe avant coureur d'un complot et d'une cabale contre le corps enseignant? En témoignent les propos discourtois et autres menaces et intimidations de la FESCI et du corps des douaniers (ref. le nouveau réveil N° 1626 du 21 Mai 2007) ces dernières heures. Il faut s'attendre les jours à venir à d'autres réactions suscitées à cette fin. Le coup fatal lui sera porté très certainement, à la manière de Brutus, par la menace de suspension de salaire que brandira très bientôt le pouvoir, suite au refus des enseignants de reprendre les cours après la prise de ces ténébreux décrets. Il lui sera alors, cette fois ci, difficile de se relever tant cette énième humiliation sera ressentie comme une trahison. Comme quoi on peut être à la première loge et ne rien comprendre au spectacle. Et pourtant, le bon sens nous indique qu'il n'a jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui de mettre l'école à contribution dans cette phase sensible de la réconciliation des c?urs et des esprits. Pour vaincre la violence, le désordre, l'impunité, la médiocrité, la défiance et la déviance qui règnent aujourd'hui dans notre société, il n'a jamais été aussi nécessaire de s'appuyer sur l'école afin de réhabiliter les valeurs essentielles que sont le respect de l'autorité politique, des institutions dont l'école et ceux qui les incarnent, l'amour de son pays, le goût du travail et de l'effort, la culture du dialogue et de la paix.
L'école est la seule institution capable de donner cette éducation, y compris l'éducation citoyenne à travers la culture démocratique, à savoir : l'éducation à la polémique, à la critique et à l'autocritique.
L'éducation à l'école, c'est aussi enseigner aux jeunes l'horreur de la guerre, la nécessité de défendre la démocratie contre tout ce qui conspire contre l'intégrité de la république, et surtout contre l'attentat criminel que représentent l'agression sociale et la dégradation de la dignité de l'être humain. L'éducation à l'école, c'est également apprendre à l'enfant à défendre la démocratie contre le mensonge en vue de faire éclater la vérité et préserver le pays de tout prosélytisme armé et de tout vice, surtout lors des compétions électorales. L'éducation à l'école, c'est surtout l'enseignement civique afin de développer une vigilance accrue chez l'enfant, surtout lorsqu'il s'agit de préserver notre démocratie, donc notre liberté, c'est-à-dire notre identité considérée comme l'air que nous respirons et le toit qui nous abrite. L'éducation à l'école, c'est enfin l'amour de la patrie qui passe par le combat contre l'ignorance et l'analphabétisme, la lutte contre le tribalisme, le népotisme et le favoritisme, la recherche du dépassement de soi, l'amour de nos ancêtres, ces bâtisseurs de notre cité, et qui sont la source inépuisable de notre identité mais aussi les inspirateurs de notre futur, le pays de nos enfants, le pays de l'espérance. C'est là, le sens profond du premier acte posé par le nouveau président de la république française. Qu'il est dommage que certains hommes d'Etat sous nos tropiques, aveuglés par le pouvoir, n'aient point compris ce défi majeur, et qui cherchent à chaque instant, à tricher avec l'avenir de leur peuple et de leur pays ! On peut tricher avec tout sauf avec l'école. Que l'on ne s'étonne point que l'Afrique soit en retard par rapport aux autres continents, et que la Côte d'Ivoire se retrouve à la traîne de l'Afrique de l'ouest.
KOFFI Désiré

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