samedi 12 mai 2007 par Le Temps

A la faveur du Forum d'Abidjan sur l'avenir du partenariat Europe-Afrique, M. Albert Bourgi, professeur de Droit international à l'Université de Reims (France), jette un regard sur le partenariat euro-africain et lance un appel aux autorités ivoiriennes.
Pendant les débats, on vous a entendu prendre, quelquefois, position en faveur des Africains, dans leur conception du nouveau partenariat Europe-Afrique. Pouvez-vous nous expliquer votre conception du nouveau partenariat auquel vous songez ?
Oui, ce qu'on a entendu tout au long de la journée comme discours, comme expressions, c'est de dire, au fond les rapports entre l'Afrique et l'Europe sont de type exceptionnel, de caractère contractuel, illustrés par des Institutions communes censées, justement, prendre des décisions en matière de coopération entre l'Afrique et l'Europe. Ces relations sont, sans doute, intéressantes. Elles ont produit, incontestablement, leurs effets sur le plan économique, sur le plan de l'aide au développement. Elles ont quasiment instauré une sorte de co-gestion de l'aide financière, à travers les institutions communes qui ont été mises en place dans le cadre des rapports ACP-UE. Pourtant l'UE n'a cessé d'apporter de l'aide aux pays africains
C'est vrai que l'Union européenne (UE) a apporté quelques correctifs aux rapports traditionnellement de type inégalitaire entre les deux continents. Mais cela ne suffit pas, pour les absoudre ces fameuses relations. Sur le plan économique, on est quand même dans un partenariat qui reste fortement déséquilibré. Il est vrai que dans ce système de multilatéralisation, l'aide a eu l'effet positif d'éviter le face-à-face entre ancienne puissance coloniale et anciens colonisés. Mais les pays ACP ont beau s'exprimer, le bureau des ACP à Bruxelles a, sans doute, son mot à dire sur un certain nombre de démarches qui sont entreprises. Les négociations sont parfois difficiles, notamment sur le terrain politique. Cela dit, on est dans un partenariat un peu déséquilibré presque inévitable. Un proverbe dit que la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. On est un peu dans cette logique. Si vous voulez, c'est un partenariat économique dans lequel les pays ACP continuent de recevoir et parfois d'accepter les conditions de l'aide financière. Au point même de se trouver dépourvus de pouvoir, quand il faut parier d'engager l'Europe dans un certain nombre de directions. Comment pourrait-on qualifier ce type de relations-là ?
En particulier, ces rapports s'inscrivent dans la logique de domination entre les pays sous-développés et les pays industrialisés. Cela pèse lourd dans les rapports entre l'Afrique et l'Europe. Si on regarde bien l'Union européenne, ses institutions, la commission et autres, on se rend compte que, malgré le caractère contractuel des rapports avec l'Afrique, ce sont ces institutions européennes, c'est la commission, c'est le commissaire, c'est le budget communautaire qui décident finalement du contenu de cette coopération. Il faut bien le reconnaître. A 27 membres, on nous dit il n'y a pas de problèmes, tout se passera bien. Mais il est évident qu'à 27 membres, aujourd'hui, le partenariat n'est plus celui des conventions de Lomé, ni plus celui de l'accord de Cotonou. Peut-être que ce partenariat devra répondre à un certain nombre de préoccupations des nouveaux Etats membres de l'Union européenne. Alors selon vous, qu'est-ce qu'on aurait dû faire ?
Il y a là, un rapport de force. Comme toujours, les relations internationales ne sont que le reflet des rapports de force entre Etats. Ces rapports ne sont pas favorables aux pays sous-développés. Il est donc évident que ça passe nécessairement par une consolidation des Etats africains concernés et des pays en développement en général. Une consolidation et une affirmation plus grande de leur souveraineté et une plus grande affirmation aussi de leur capacité de négociation. C'est évident. Mais au-delà, il faut des rapports d'un type nouveau, d'un type novateur, puisqu'on est passé d'une sorte de logique d'assistanat, à une logique où les uns et les autres expriment leurs doléances.
Ce Forum se tient dans un contexte de sortie crise en Côte d'Ivoire. Pensez-vous que le moment est venu, pour que les Africains donnent de la voix ?
Le fait que ce Forum se soit tenu à Abidjan, est une chose extrêmement importante. C'est la première fois qu'il y a un Forum de ce type, qui met à plat et dans le fond, ces relations entre l'Afrique et l'Europe. Et c'est intéressant. C'est vrai que l'initiative peut venir de la Côte d'Ivoire, pourquoi pas. La Côte d'Ivoire qui a traversé une période extrêmement difficile et qui est en train d'en sortir, et qui va, sans aucun doute, s'en sortir. De cette crise, sortira une nouvelle Côte d'Ivoire. Une Côte d'Ivoire porteuse de nouvelles revendications. Et c'est vrai que ces nouvelles revendications seront, j'en suis pour ma part convaincu, partagées par beaucoup de pays africains et par beaucoup de pays ACP, signataires de l'accord de Cotonou. Ça dépasse le seul continent africain. Voyez-vous, il y a un programme très lourd et ça rend, toujours, les rapports extrêmement conflictuels entre le Nord et le Sud, dans le domaine politique. Dans le domaine économique, dans le domaine culturel, c'est la bataille permanente. Le tout pour les Etats africains et pour les pays en développement en général, c'est peut-être de pouvoir mieux s'affirmer et d'avoir les outils (notamment politique) nécessaires pour cela. Au vu des problèmes de la Côte d'Ivoire, quel est l'appel du politologue que vous êtes, à l'endroit des autorités ivoiriennes ?
Moi, je crois qu'il faut poursuivre et soutenir l'accord de Ouagadougou. Aller rapidement vers la sortie de crise. Réunifier très vite le pays. Ne pas s'arrêter aux problèmes secondaires. Organiser rapidement l'élection présidentielle, de manière à ce que le président qui sera élu, ait une véritable légitimité afin de clore le chapitre de la guerre. Et je crois que tous les acteurs sont disposés à faire cela. Je crois fondamentalement aussi que les Ivoiriens n'ont de leçon à recevoir de personne. A eux de se mettre ensemble. A eux de décider de ce qu'ils doivent faire. A eux, au fond, d'accepter les concessions mutuelles. Car dans tout compromis politique, il y a des concessions et ces concessions sont fondées, lorsqu'elles vont dans le sens de l'intérêt général du pays. Quel est votre point de vue sur la question de l'immigration, une question qui préoccupe l'Europe?
Il me paraît que ce partenariat est un accord d'ensemble. Seulement, je voudrais dire que dans cet " ensemble", ce n'est pas toujours le même chemin. Et moi, je suis choqué. On ne peut pas dire que nous formons un ensemble. Sans doute nous aidons, mais que, dans le même temps, on forme une Europe presque inaccessible, interpelle. C'est-à-dire que j'imagine mal un ensemble où l'on ne puisse pas se permettre cette fameuse liberté de circulation. Il se trouve que ce partenariat débouche sur des politiques restrictives, en matière de liberté de circulation. C'est un point qui peut paraître très complexe. Mais il va falloir que dans ce partenariat que l'on considère, à juste titre d'ailleurs, comme étant un partenariat exemplaire, un certain nombre de questions restent sans réponses claires. Je rappelle quand même que bien que la liberté de circulation soit posée de manière extraordinairement ambiguë par le droit international, cette même liberté de circulation est consacrée par la déclaration universelle des Droits de l'homme. Elle est également consacrée par les pactes internationaux que tous les Etats membres des Nations unies ont ratifiés. En quoi est-ce que la liberté de circulation est ambiguë ?
Je trouve sincèrement que la liberté de circulation est ambiguë, parce qu'on vous permet de revenir, mais on ne vous dit pas où vous devez vous poser. Et l'Europe s'accroche à ça. Cette question d'immigration est occultée, mais elle est quand même au c?ur des préoccupations des opinions publiques. C'est vrai qu'il ne faut pas se lancer dans des phrases démagogiques. Mais je vois mal comment l'ensemble qui consacre la levée des barrières douanières, mais qui dans le même temps dit : "entendez liberté de circulation des biens, des marchandise, liberté de circulation des services, mais pas de liberté de circulation des personnes". Ça, c'est une question qui me paraît être un peu obsessionnelle. Ce qui me fait dire qu'au fond ce slogan "ensemble", c'est ensemble sur un bout de chemin, mais pas tout le chemin.

Frimo D. Koukou
koukoudf@yahoo.fr

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