samedi 12 mai 2007 par Fraternité Matin

Ménéklé, il ne s'agit pas du village, situé sur l'axe Kakrédou-Gréblé, comme aime à l'indiquer le vieux vis-à-vis. Ménéklé ici, est un marché de friperie situé à Marcory-Anoumabo, à quelques mètres du nouveau marché de cette commune. Connu encore sous le nom de Belleville, ce vaste espace recouvert d'étals en bois ne sert pas seulement au commerceIl est 18h30, ce 2 mai. Ménéklé comme tous les mercredis a connu l'animation tout particulière des jours de marché. Divers articles, au nombre desquels des vêtements et des chaussures pour enfants ainsi que des effets vestimentaires et des accessoires pour dames ont été proposés aux clients, qui ont effectué nombreux le déplacement au dire de Peter N. Ce vendeur de paires de basket est occupé à ranger sa marchandise, comme bien d'autres commerçants. Tous se contentent de dire que les affaires ont un peu marché. A ces vendeurs diurnes vont succéder une autre classe de commerçantes. Celles-là dont l'activité principale se déroule , nuit et proposent un type de produit bien particulier.
A 21h, les abords du marché éclairés par les lampadaires s'animent, tandis que l'intérieur est plongé dans la pénombre la plus totale. A la périphérie de ce marché du côté du pont d'Anoumabo, qui demeure le seul secteur éclairé, des fidèles de l'Eglise biblique internationale la Tente de la rencontre , sont en prière. A quelques mètres, un maquis rustique crache des décibels de musique en vogue. Plus personne n'ose s'aventurer à cet endroit qui sert de raccourci pendant la journée, aux riverains qui se rendent à Anoumabo. Nombreus sont les personnes qui se sont fait agresser à cet endroit, informe Mme T. Yvonne, qui habite non loin du nouveau marché. Ce lieu réputé dangereux ne l'est pas pour tous. Des demoiselles en petit caleçon, maillot de bain, minijupe, pantalons taille basse ou petites robes moulantes qui atteignent à peine les cuisses, déambulent gaiement. Deux adultes d'une trentaine d'années s'approchent des étals. Plusieurs filles se précipitent vers eux. Chéri viens causer, chéri vient b, lancent-elles. Les deux clients ont visiblement l'embarras du choix. En face, des claires, des moins claires et des noires pour ce qui est du teint, ainsi que des sveltes respectant le canon des miss, mais aussi des grandes bien en chair. Certaines usent de méthodes beaucoup plus agressives, en entraînant littéralement leur prince charmant, à l'intérieur. A Ménéklé pas besoin de chambres d'hôtel. Tout se passe sur place. Si tu veux, il y a un bon endroit ici, tu donnes 1.000F pour moi et 200F pour les garçons et on va là-bas, informe Kadiatou, notre principale interlocutrice de ce soir. L'endroit en question, appelé le Gbatta, est un ensemble d'étals accolés les uns aux autres. Cet espace qui ressemble fort à un ring pour combat de boxe est gardé par un proxénète du nom d'Anderson. Il a la charge de recueillir la taxe de 200 F et de veiller sur les filles avec son équipe. Cette somme au dire d'Anderson sert à tempérer les ardeurs des éléments des Forces de défense et de sécurité qui y viennent très souvent en patrouille. Le gbatta est le seul endroit autorisé pour passer à l'acte, informe Angelo qui est de service cette nuit. Le mot intimité n'existe pas dans le Gbatta, tout se passe dans une promiscuité qui ne gêne pourtant pas les habitués de cet endroit. Et nombreux sont ceux qui ne se laissent perturber, ni par l'odeur qui emplit ce lieu, ni même par les préservatifs usagés qui jonchent le sol. L'essentiel est de satisfaire sa libido. Cheick lui, a vu en l'activité de ces jeunes filles, une véritable aubaine. Ainsi, chaque jour de 18H30 à 6H, il vend dans ce marché divers articles de consommation. Ce qui marche, ce sont les préservatifs, nous confie-t-il. A cet effet, il affirme écouler entre 4 à 5 paquets de 48 préservatifs en période de faible affluence. Les vendredis, samedis et dimanches par contre, notre marchand affirme écouler entre 10 et 12 paquets à raison de 150F l'étui de 4 condoms. Affectueusement appelé vieux père par les filles, il les ravitaille tout au long de la nuit et ne réclame son dû qu'au petit matin. Cheick est à cet effet obligé de tenir une comptabilité rigoureuse en mentionnant systématiquement chaque cigarette ou chaque capote servi. Depuis quatre années qu'il vend à cet endroit, Cheick connaît la plupart d'entre elles et sait même au détail près, ce qu'elles gagnent en moyenne par jour pour avoir été pendant longtemps leur banquier. C'est au minimum 5.000F qu'elles empochent pendant les périodes creuses, les week-ends, il leur arrive de rentrer avec 25 voire 30.000F. Ce qui équivaut quelque fois à une vingtaine de rapports. Inimaginable ! Le secret pour réaliser un tel exploit : de la liqueur, de la cigarette et même de la drogue pour certaines. Kadiatou, Alima, Sali, la vieille et toutes les autres exercent en toute quiétude. Les garçons, comme elles aiment à appeler leurs anges gardiens tapis dans l'ombre veillent au grain. Une trentaine de filles au total sont à leur poste pendant cette nuit. Elles se connaissent toutes. Assises ou arrêtées par petits groupes, elles passent allègrement du malinké au français, dans leurs discussions truffées de grossièretés. Kadiatou, après avoir reçu le prix d'une passe, accepte de nous accorder un peu de son temps précieux. Orpheline de père et de mère, elle affirme exercer ce travail à l'insu de sa grand-mère. Comme elle, la plupart de ces demoiselles, dont l'âge oscillent entre 16 et 25 ans, le font en secret. Aussi s'habillent-elles décemment en quittant le domicile, avec dans leur sac ou dans leur sachet leur tenue de travail. Une fois sur les lieux, elles se changent. En témoignent les nombreux sachets entreposés sous le tablier de Cheick. Comme Kadiatou, certaines viennent d'Abobo, mais aussi de bien d'autres communes comme Adjamé, Treichville ou même Port-Bouët. A la question de savoir pourquoi elles s'adonnent au plus vieux métier du monde, la réponse ne se fait pas attendre : chéri, moi-même je sais que ce n'est pas un travail, mais comment vais-je faire, je n'ai personne pour m'aider. Je viens me débrouiller ici, afin de faire des économies et me lancer dans le commerce. Alima, elle, se fait plus agressive, nous n'avons pas volé, c'est notre corps, et ce que nous faisons ne vous regarde pas. Comme Kadiatou, toutes ont décidé de ne plus avoir de rapports non protégés à cause du Sida et de toutes les IST. Au point que l'utilisation du préservatif qu'elles appellent passeport, est devenue un réflexe. Kadiatou s'empresse d'ajouter : même pour 100.000 F, sans passeport, je refuse. Il est 23h30, les clients se font toujours désirer. Fatou, seize ans à peine, lasse de marcher, exprime son désespoir : le mouvement est sec aujourd'hui. Si ça continue je vais me coucher. Certaines sont étendues sur les échoppes. Un cargo de la CRS fait irruption dans le marché et se gare non loin du gbatta. Deux agents en descendent, Anderson s'empresse de leur faire comprendre qu'il ne peut pas leur remettre 1.000F actuellement. L'un semble compréhensif, tandis que l'autre décide d'embarquer une des filles. Son choix se porte sur Kadiatou qui essaie de s'enfuir dès qu'elle entend le policier l'appeler. Elle est rattrapée in extremis par ce dernier, alors qu'elle était sur le point de s'engouffrer dans un taxi. Les deux agents repartent avec leur victime, tandis que ses amies s'en prennent à Anderson. On te paie pour quoi, si les policiers prennent encore une autre on ne te donnera plus rien, fulminent-elles. Trois autres véhicules du Cecos 53 ; 57 et 07 se déporteront aussi sur les lieux entre minuit et 3 heures. Anderson s'éclipsera à chaque fois, pour éviter d'être rançonné. Cette situation aura pour effet de perturber le travail des prostituées, qui verront les désirs de leurs clients être estompés par la présence des forces de l'ordre. F.Marcel, un habitué des lieux, affirmera même avoir été spolié de son argent par les forces de l'ordre alors qu'il était au Gbatta. Ces irruptions intempestives ont contraint certaines des filles à s'adonner à un exercice qu'elles disent ne pas trop apprécier. Il s'agit d'accepter l'offre de certains clients qui consiste à les suivre dans un hôtel de leur choix, loin de leur base et de leurs anges gardiens. Un tel sacrifice pour au moins huit mille francs la nuit.
Hervé Koutouan
Entre nous : Danger !
La prostitution et son cortège de maladies pourront-ils reculer un jour? Pas sûr, si l'on s'en tient à l'ampleur que prend au fil du temps, ce métier qui serait le plus vieux du monde. En Côte d'Ivoire particulièrement, l'Etat semble impuissant face à la toute puissance du phénomène. Les religieux, ONG et autres institutions de lutte contre les MST et le VIH/SIDA, eux, préfèrent se contenter de séances de sensibilisation dans les temples, à la radio, à la télévision ou dans les journaux. Ce n'est pas à la police qu'on demandera de faire mieux. Pendant ce temps, sur le terrain, le nombre de prostituées croît inexorablement. D'ailleurs, ces filles qui ont choisi de commercialiser leur corps le font désormais à la belle étoile. Au point de tenter le maximum de personnes. Au vu et au su de tout le monde. Il suffit de faire le tour des différentes localités de Côte d'Ivoire, surtout les communes d'Abidjan, pour se rendre compte de l'allure que prend ce fléau en Côte d'Ivoire. Et là où le bât blesse, c'est que ces jeunes et belles demoiselles qui se livrent quotidiennement à plusieurs hommes pour de l'argent sont pour la plupart des voisines de quartier. Il appartient donc à chacun de se méfier car le danger reste permanent.

par Casimir Djezou

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