samedi 12 mai 2007 par Fraternité Matin

Monsieur le directeur, en dehors des missions théoriques qui vous sont assignées, que faites-vous concrètement de la propriété intellectuelle?
Nous faisons beaucoup de choses et notre premier travail consiste à enregistrer les demandes de types de propriété. Ce travail qui est fait au quotidien ne demande pas beaucoup de bruit et les résultats que nous avons sont là pour démontrer que nous travaillons. Au niveau africain (Notons que 16 Etats africains composent l'Office africain de la propriété intellectuelle), l'Office ivoirien représente le quart des dépôts. Cela signifie qu'en matière de brevets d'invention, notre office est celui qui en dépose le plus. Et en ce qui concerne le droit des marques, l'office ivoirien vient en 2ème position après le Sénégal mais il faut noter que cela est lié à la fermeture de nombreuses entreprises du fait de la crise. En termes de chiffre d'affaires, cela représente beaucoup. Cependant, si nous ne sommes pas connu, cela peut s'expliquer par deux raisons: la première est que jusqu'à l'année dernière, l'Office était rattachée au cabinet du ministère de l'Industrie et de la Promotion du secteur privé. Compte tenu du rôle que le gouvernement veut assigner à la propriété intellectuelle- qui est un rôle de développement-il, il a jugé utile d'en faire une structure autonome avec ses propres moyens. Qui est chargée de la définition et de la mise en ?uvre de la politique nationale. En dehors des célébrations qui sont des occasions pour nous faire connaître, la jeunesse de la structure n'a pas encore permis à l'ensemble de la population de voir ce que nous faisons. Le nombre de dépôts de titres de propriété intellectuelle pour la Côte d'Ivoire, vous l'avez dit, représente le quart des dépôts africains. Pourriez-vous nous en donner la répartition à travers les différents domaines?
Au niveau des brevets d'invention (titres que l'Etat accorde à celui qui invente un produit ou un procédé), il y a les marques de services que le grand public connaît. Pour qu'une entreprise soit propriétaire d'une marque, elle adresse une demande à l'Office et l'Etat lui accorde un titre de propriété sur cette marque. Il y a également ce qu'on appelle les dessins et modèles industriels (ex: dessins et motifs des pagnes déposés par les industriels du textile et tous ceux qui sont dans les modèles. Notamment les artisans qui fabriquent par exemple des modèles de chaussures, des chaises en plastique, le mobilier urbain). Nous disposons également d'un autre titre appelé les noms commerciaux. Les entreprises exploitent leurs activités sous un nom qui a besoin d'être protégé pour ne pas être usurpé par des concurrents. Nous avons d'autres titres moins connus tels les obtentions végétales qui sont des certificats protégeant les chercheurs, les agronomes qui mettent au point de nouvelles variétés. En termes de chiffres, notre office reçoit environ une vingtaine de brevets d'invention par an. Compte tenu de la situation de crise, pour l'année 2006, nous étions à une centaine de marques déposées. Pour les dessins et modèles industriels, le nombre de dépôts tourne autour de 80 et pour les noms commerciaux, nous sommes autour d'une centaine. Ces chiffres peuvent paraître insuffisants, mais en réalité, ce sont les chiffres de déposants ivoiriens. D'autres déposants en Europe ou aux Etats-Unis d'Amérique désirant protéger leurs produits sur le territoire ivoirien, font un dépôt international que nous gérons également à travers le siège de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). L'un dans l'autre, cela avoisine le milliard de francs CFA, en termes de chiffres d'affaires. Vous voyez bien que ce n'est pas une activité négligeable, mais elle est peu connue parce que notre public cible, ce sont les opérateurs économiques et les industriels. Après l'enregistrement des marques, des brevets d'invention et autres, que faites-vous pour leur valorisation. La valorisation concerne essentiellement les brevets d'invention qui sont des solutions (soit un produit, soit une manière de faire) à des problèmes que rencontre l'Homme en général. Une fois l'invention mise au point, l'Etat accorde au propriétaire le titre de propriété qu'il devra par la suite, lui-même, exploiter. Il faut entendre par exploiter, la fabrication et la mise à la disposition de cette invention pour le public. La difficulté que rencontrent les inventeurs à ce niveau est liée au fait qu'ils n'ont pas les moyens pour le faire eux-mêmes. Pour pallier cette difficulté, il existe un fonds d'aide à la promotion de l'innovation (FAPI) mis en place dans le cadre de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). Ce fonds permet à l'inventeur de bénéficier d'abord d'une subvention pour la fabrication d'un prototype qui se définit comme la réalisation concrète de l'invention qui est quelque chose d'abstrait. Notons qu'à ce niveau, on demande une contrepartie à l'inventeur pour obtenir son application. Que déboursent exactement l'inventeur et l'Etat?
Il n'y a pas de montant fixe. La subvention de l'Etat est fonction de la demande formulée par l'inventeur. Elle peut varier de 60 à 80%. La seconde phase où nous éprouvons des difficultés est celle qui intervient après la fabrication du prototype: la fabrication de l'invention à l'échelle industrielle. Cela requiert non seulement une implication de l'Etat, mais également celle du secteur privé. Le secteur privé achète ou loue alors cette invention (ce qu'on appelle une licence). A ce niveau, l'Etat n'intervient que pour donner son aval à l'inventeur qui désire solliciter un prêt bancaire. Pour ce qui concerne les autres titres de propriété tels que les marques, les dessins et modèles, ils sont valorisés directement par leurs propriétaires qui sont généralement des entreprises protégeant ces marques pour mieux vendre leurs produits. A priori, ceux-là n'ont pas besoin de l'Etat pour mieux vendre leurs produits puisque nous sommes dans le domaine concurrentiel.
De nombreux brevets ont été déchus au cours de ces dernières années?
Est-il possible de les revaloriser?
On peut situer à une vingtaine le nombre de brevets déchus c'est-à-dire qui sont tombés dans le domaine public et pour lesquels nous avons été saisis. Que faut-il entendre par tomber dans le domaine public?
A partir du moment où le titulaire du brevet n'a pas pu payer les taxes pour le maintenir dans sa propriété privée, l'Etat le lui arrache. Cela peut paraître choquant, mais permettez-moi de vous expliquer comment fonctionne un brevet. Une invention, je l'ai dit tantôt, est une solution qu'un individu apporte à un problème que rencontre l'humanité. L'Etat, pour être reconnaissant envers ce dernier, va lui attribuer un monopole sur la fabrication de son invention. En contrepartie, l'Etat va lui demander, dans un premier temps, de décrire son invention de sorte que n'importe quel ingénieur dans le domaine de l'invention concernée puisse la réaliser. Ensuite, l'Etat demandera à cet inventeur d'exploiter son brevet et comme c'est un monopole qu'on lui octroie, il devra payer une taxe tout comme la taxe foncière par exemple, pour que son monopole dure. Si l'inventeur, pour une raison ou pour une autre, ne paie pas ses taxes, au bout d'un certain temps, l'Etat lui arrache le brevet. Alors, on parlera de déchéance. Dans ce cas-là, plusieurs solutions sont prévues par la loi, en l'occurrence l'accord de Bangui. Cette loi va lui accorder 6 mois pour régulariser sa situation, mais s'il ne le fait pas, alors il est déchu de son brevet. Toutefois, il dispose de recours qui lui permettent par exemple d'introduire une demande en restauration de son brevet. Pour que cette demande soit valable, il faudrait que la déchéance n'ait pas excédé 24 mois. La deuxième chose, il doit invoquer un fait justificatif (notamment: incapacité de se déplacer du fait de la guerre). C'est la situation que beaucoup de nos compatriotes inventeurs vivent et dont nous avons été saisis. Nous sommes en train de mettre en place la procédure de restauration pour que les inventeurs retrouvent leurs droits. Je profite de vos colonnes pour dire qu'à ce niveau, la balle se trouve dans le camp des inventeurs à qui nos avons demandé une liste complète des personnes concernées. Nous avons, par ailleurs, saisi officiellement la direction générale de l'Organisation africaine qui se trouve à Yaoundé. Nous n'attendons donc que cette liste. Toutes ces explications montrent la difficulté d'être inventeur. Ne pensez-vous pas que toutes ces procédures peuvent décourager certains qui pourraient préférer ne même pas déclarer leur invention?
Vous avez raison, cela peut paraître compliqué pour les non initiés, mais je voudrais vous rassurer à ce niveau. La raison d'être de l'Office ivoirien de la propriété intellectuelle, c'est justement pour simplifier ces démarches. Il appartient aux créateurs de saisir l'Office. Cela n'est pas aussi compliqué que vous le dites puisqu'il y a deux phases dans le processus. La première, celle de l'invention, est celle-là où l'inventeur est seul, mais une fois que c'est fait, l'Etat le prend entièrement en charge. Il lui suffit simplement de venir à l'Office formuler une demande. Toute une équipe est chargée de l'aider à faire les démarches. Il n'y a pas de papiers à remplir, l'Office s'en charge. La seule chose qu'on lui demande, c'est d'apposer une signature. Si l'inventeur est économiquement faible, l'Etat l'aide à payer les différentes taxes. Par exemple, en matière de brevet d'invention, pour la taxe de dépôt, au lieu de 580 mille francs, l'inventeur ne paie que 22500F CFA. Il est donc faux de penser que l'Etat ne fait rien pour les inventeurs. Au niveau du paiement des annuités, pendant les 10 ans, l'Etat prend en charge les 80%.
Je voudrais rappeler à ce niveau que le ministère de l'Industrie et de la Promotion du secteur privé a des directions régionales ayant compétence pour recevoir tout inventeur sollicitant un titre de propriété industrielle. Pour compléter cette action des directions régionales, l'Office effectue régulièrement des tournées dans les différentes circonscriptions. Dans ce cadre-là, nous faisons de la sensibilisation pour amener les nationaux et même les résidents à déposer leur brevet. Je profite pour dire que contrairement à ce que l'on croit, le paysan est aussi un inventeur. Cela peut paraître surprenant, mais le système a prévu des moyens de protection pour l'invention des paysans que l'on appelle des modèles d'utilité. Cela signifie concrètement que le paysan Sénoufo par exemple, pourra protéger sa daba parce que celle-ci répond aux caractéristiques du sol de la région de Korhogo. Je voudrais donc lancer un appel à l'endroit de nos compatriotes afin qu'ils ne soient pas complexés. Ils ont un génie créateur et le système a prévu toute sorte de protection pour tout le monde. L'on ne peut parler d'invention sans parler de contrefaçon ou d'usurpation de titre.
Que faites-vous pour protéger les droits des inventeurs?
Justement, c'est le revers de la médaille. L'on ne peut parler de contrefaçon que par rapport à quelque chose ayant de la valeur. C'est parce qu'un objet a de la valeur, qu'on essaie de le copier et en le faisant sans l'accord de l'auteur, on commet ce qu'on appelle une contrefaçon. Qui, malheureusement, est un grand fléau que rencontrent nos inventeurs, quels qu'ils soient (artistes, titulaires de marques et de dessins et modèles, etc.). Lorsqu'un modèle de pagne est mis sur le marché, il est copié par des contrefacteurs qui sont généralement des ressortissants de pays asiatiques. Ces entreprises victimes de la contrefaçon le ressentent durement. Il y a quelques années, la Côte d'Ivoire avait près d'une dizaine d'usines de textile. Aujourd'hui, elles se comptent sur les cinq doigts. Pour lutter contre la contrefaçon, nous faisons en sorte que l'objet inventé soit d'abord protégé (cela, à travers les titres de propriété que nous délivrons), parce que c'est seulement à partir de là, que l'on peut parler de contrefaçon. La deuxième chose que nous faisons-qui est peu connu du public-est que nous sommes chargés de concevoir les moyens et les textes qui permettent aux Forces de l'ordre d'agir sur le terrain.
Nous avons en outre, un rôle d'assistance et de conseil. Lorsqu'il y a un procès en contrefaçon, pour être sûr que l'objet est protégé, les parties auditives s'adressent à nous pour avoir la certitude de son originalité. Nous cherchons à savoir au-delà de la protection, la manière dont cet objet est protégé. Pour être plus technique, dans le domaine des marques par exemple, les titulaires doivent préciser non seulement les produits qu'ils désirent couvrir (l'on parle de principe de spécialité), mais également le domaine d'extension de cette couverture.
Par ailleurs, nous avons un rôle de sensibilisation de la population aux dangers de la contrefaçon. Cependant, à la différence de la Douane et de la Police, nous ne sommes pas un organe de répression. Nous sommes plutôt un organe d'accompagnement et de protection. Ce qu'il convient de retenir, c'est qu'on ne peut parler de contrefaçon s'il n'y a pas de protection. Or, c'est l'Office qui confère cette protection. La Côte d'Ivoire présente 5 candidats au prochain Salon africain de l'invention et de
l'innovation qui se déroulera en Guinée Bissau.
Quels commentaires?
La Côte d'Ivoire a régulièrement participé à ce salon et a toujours été dignement représentée puisque chaque fois, nos participants ont eu à ramener au moins deux prix. J'en profite pour dire que ce salon est très important. Nous les Africains en général et les Ivoiriens en particulier, avons tendance à croire que nous n'avons pas l'esprit inventif. Cela est dû au fait que nous ne connaissons pas ce que nous inventons et nos inventeurs. Ce salon est pour nous une bonne occasion de montrer qu'il y a des génies en Côte d'Ivoire et partout en Afrique qui ont besoin d'être reconnus par l'Etat et par la communauté internationale pour leur rôle dans le développement. Les inventions que nous allons présenter à ce salon sont très diversifiées, avec une utilité sociale avérée. Des inventeurs ont mis au point des procédés coûtant nettement moins cher que les procédés importés et qui ont l'avantage d'être adaptés à nos réalités. Lorsque l'on parle par exemple de tropicalisation de voitures importées, on peut se demander pourquoi ne pas les fabriquer par rapport à nos réalités? C'est ce que font nos inventeurs qui méritent d'être soutenus. J'en profite pour lancer un appel à l'endroit des bonnes volontés (secteur privé et gouvernement) pour qu'un véritable appui soit apporté à ces inventeurs qui ont fait des découvertes très utiles pour notre pays. Nous demandons par ailleurs, à la population, surtout aux inventeurs et aux créateurs de venir à l'Office qui se chargera de les aider dans l'accomplissement de leur démarche. Nous demandons également aux chercheurs de venir consulter notre fonds documentaire qui peut être chiffré en millions de brevets déposés à travers le monde.


Interview réalisée par Mayane Yapo

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