vendredi 11 mai 2007 par Fraternité Matin

L'élection de Nicolas Sarkozy suscite de nombreuses réactions dans le monde, notamment en Afrique. Un diplomate africain sort de sa réserve et dit sa part de vérité. L'élection de Sarkozy comme Chef de l'Etat français suscite bien des réactions à travers
le monde et singulièrement en Afrique. Vous, en votre qualité d'ambassadeur d'un des pays réputés avoir des relations privilégiées avec l'Elysée, quelle est votre réaction ?
A la suite de mon Président El Hadj Omar Bongo Ondimba interviewé par RFI, le mardi 8 mai dernier, j'adresse à M. Nicolas Sarkozy mes félicitations les plus respectueuses. Mais en même temps, je voudrais dire qu'au-delà de tout ce que nous voyons, je conserve un regard amical, amusé mais objectif de la France parce que je suis francophone, francophile, c'est bien connu. Et d'un autre côté, je ne suis ni électeur français, ni candidat à une quelconque forme d'immigration. Donc en réalité, face à toute cette gesticulation qu'on voit ces jours-ci, j'ai une attitude plutôt réservée parce que, quitte à être réduit à manger des feuilles de manioc dans mon village, je préfère être un petit pauvre dans mon petit pays qu'un grand pauvre dans un grand pays étranger.
Il convient certainement de conserver un tant soit peu de dignité et de logique par rapport à la position de la France. Par exemple, si votre ami vous dit qu'il n'a plus besoin de vous, la logique élémentaire voudrait que vous ayez un minimum de hauteur pour vous passer de lui. Si votre ami commence à s'admirer soi-même, alors votre amitié ne vaut plus grande-chose. A vous entendre, on ressent une espèce de dépit dans vos propos. Est-ce de cela qu'il s'agit aujourd'hui entre la France et l'Afrique ?
Ce n'est nullement une forme de dépit. L'on ne saurait être dépité. Vous savez, l'amitié est une forme d'échange. C'est le donner et le recevoir. Si vous donnez et qu'en retour vous ne recevez rien, arrêtez de donner. Si votre soi-disant ami vous dit qu'il préfère la méditerranée, ayez le sursaut d'amour-propre qui vous fera préférer à votre tour l'Afrique du Sud, l'Algérie, le Maroc ou même la Chine, pourquoi pas ?
Nous ne sommes pas obligés de nous gratter la tête chaque fois que notre ami nous dit qu'il a d'autres amis. Nous aussi, nous somme, en droit d'avoir d'autres amis. Si votre ami vous dit qu'il démantèle toutes ses bases militaires, les mêmes causes produisant les mêmes effets, quelqu'un d'autre viendra installer d'autres bases militaires. Je pense que nous devons prendre tout cela avec un tant soit peu de flegme, de hauteur, mais surtout de bon sens. Ce n'est donc pas un dépit. Excellence, ce que vous semblez déplorer, c'est justement ce que certains Africains réclament depuis longtemps à cor et à cri.
A savoir que la France et l'armée française s'en aillent. C'est un discours de plus en plus tenu. Il faudrait d'abord chercher à comprendre ce qui a fait en sorte que la France s'installe en Afrique noire et y installe des bases militaires. Si les réseaux qui ont amené la France à s'installer et à installer ses bases n'existent plus, écoutez, elle prendra le tournant qui lui est offert pour s'en aller. Il faudrait que nous ayons des rapports de partenaires à partenaires, de nations à nations, des rapports d'hommes à d'autres hommes. Nous devons cesser de nous complaire dans une situation où nous donnons toujours l'impression de courir après les autres, alors que ceux-ci nous disent qu'ils n'ont plus besoin de nous. Il n'y a aucune forme de dépit dans ce que je dis. C'est tout simplement la Real politik. Il y a quelques années, le Président Omar Bongo appelait cela le règlement des choses au cas par cas. Vous me respectez, je vous respecte.
Mais si vous ne me respectez pas, n'attendez pas de respect de moi. Le Président Bongo est un grand ami de l'Elysée où il est très souvent reçu. En vous écoutant, on a le sentiment qu'entre vous et votre Président, il y a une divergence. Il n'y a aucune divergence possible. Le Président Bongo a les meilleures relations avec toute la planète, y compris l'Elysée. Et le fait qu'il y ait un nouveau locataire à l'Elysée ne devrait pas faire changer les choses. Il n'y a donc pas de divergence, mais l'on est quelque peu excédé par tous les stratagèmes de Sion que les uns et les autres mettent à vouloir chercher la petite bête entre l'Afrique noire francophone et la France. Si la France nous respecte, nous la respectons. Si elle dit qu'elle ne veut plus de nous, qu'elle s'attende à ce qu'un jour, nous lui disions au revoir. Je suis dans le droit fil de ce que pense et dit mon Président. En tant que citoyen gabonais, quel sentiment vous anime lorsque vous entendez des radios étrangères demander à votre Président si le nouveau Président français et lui se tutoient, s'ils se sont parlé, s'ils ont une fois déjeuné ensemble, etc. ?
Ce sont là les chinoiseries de journalistes. Les journalistes font leur travail et les Chefs d'Etat leur répondent et leurs représentants essayent d'expliciter tant bien que mal les réponses qu'ils ont données. On n'empêchera jamais un journaliste de chercher à s'informer, même si j'ai trouvé un peu cavalières les questions qui ont été posées à mon Président.
Mais le Président Bongo Ondimba est un homme du peuple. Il est avec tout le monde. Je ne sais pas si, pour pouvoir se restaurer, le Président Bongo Ondimba est obligé d'aller manger avec nos amis occidentaux. Il est assez grand pour organiser ses dîners, ses déjeuners et inviter qui il veut. Je suis persuadé que beaucoup d'hommes politiques et de dirigeants ont mangé à la table du Président Bongo. Il n'y a même pas à se poser de questions la-dessus. C'est de la petite chicane. Mais derrière ces questions apparemment amusantes, il y a la volonté de savoir si tel ou tel Chef d'Etat africain demeure ce qu'on pourrait appeler le bras séculier de Paris dans son pays et surtout du nouveau Président élu qui, on le sait, n'était pas en bons termes avec Chirac, l'ami de l'Afrique. Je pense qu'il faudrait poser la question à ce journaliste qui, seul, serait à même de vous dire pourquoi il menait son interview de cette manière-là. Mais le Président Bongo Ondimba est un grand homme d'expérience. Il observe la politique française depuis des décennies. Il est normal qu'il ait pu voir grandir ou évoluer tous ceux qui se retrouvent aujourd'hui au sommet de la politique française à gauche comme à droite, au centre comme ailleurs. Je ne sais pas où se pose le problème. Pour moi, le journaliste essaie de faire son travail comme vous êtes en train de le faire actuellement. Mais il faudrait qu'en retour, vous puissiez prendre comme telles les explications qui vous sont données parce qu'elles le sont de bonne foi. Il n'y a aucune malice derrière. La crise ivoirienne évolue vers sa fin. Quelle appréciation faites-vous de cette évolution et surtout du rôle qu'a joué la France dans cette crise ?
Le rôle de la France et les relations de la France avec la Côte d'Ivoire ne peuvent être mieux expliqués que par mon collègue ambassadeur de ce pays avec tout le respect qui sied. Il est le seul habilité à traiter de ce chapitre. En tant qu'Africain, par contre, je dirai ce que j'ai toujours répété depuis plus d'une demi-décennie que je suis en poste à Abidjan. Rien de ce qui se passe en Côte d'Ivoire ne peut laisser le Gabon indifférent. Mon Président est parfois intervenu en sa qualité de doyen des Chefs d'Etat africains, de frère, d'ami. C'était pour montrer combien la Côte d'Ivoire était proche du c?ur des Gabonais. Maintenant que le Président Laurent Koudou Gbagbo a pris cette initiative du dialogue direct qui s'avère, au moment où nous parlons, payante et évolutive, nous ne pouvons qu'applaudir et l'encourager très respectueusement, avec toute la déférence requise, à continuer sur cette voie. Nous encourageons tous les acteurs ivoiriens à aller de l'avant pour aboutir à des élections libres, transparentes, ouvertes et propres. Mais surtout pour aboutir à une paix durable. C'est le plus important. Tout le reste est relatif.

Interview réalisée par
Abel Doualy

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