jeudi 10 mai 2007 par L'intelligent d'Abidjan

Mme Fatou Diakité était l'invitée hier mercredi matin de Christophe Boisbouvier, journaliste à Radio France Internationale (Rfi). Au menu de leurs échanges du jour, l'indépendance de la justice dans les pays africains. Cet entretien fait suite à la réunion la semaine dernière à Abidjan du Groupe Africain d'Union International des Magistrats. Pour rappel, la juge ivoirienne préside au destiné de ce groupe. Est-ce qu'on peut être juge et intègre dans un pays comme la Côte d'Ivoire ?
Mais bien sûr. Parce que l'intégrité, c'est vrai qu'il y a une part du contexte, mais il ya une grande part qui dépend du juge lui-même. L'intégrité c'est une question avant tout d'étique personnelle. Et nos priorités, c'est l'émergence en Afrique d'une justice qui puisse donner confiance aux investisseurs. Et en particulier dans une Côte d'Ivoire qui est en phase de sortie de crise, il a été souvent dit que certains investisseurs hésitaient à faire venir leur argent parce qu'ils estimaient qu'il n y avait pas de sécurité judiciaire et voulaient avoir la garantie que ce qu'ils investissaient en cas de litige, leurs intérêts seraient préservés avec justice, avec équité.
Beaucoup d'hommes d'affaires qui investissent dans votre pays disent qu'ils ne peuvent pas gagner un procès s'ils ne donnent pas un dessous de table au juge chargé de leur affaire ?
C'est eux qui le disent. Il faudrait que chacun de son côté soit responsable parce qu'on parle du corrompu, mais on parle très peu du corrupteur. C'est à dire que lorsqu'on a un procès, au lieu de chercher à avoir les meilleurs avocats, chacun cherche plutôt à rencontrer le juge ou les juges qui seront en charge de leur dossier. Je pense qu'il faudrait peut être arrêté ce genre de comportement et que si chacun exige l'application stricte du droit, on finira par y arriver. Je pense que la vraie justice indépendante c'est celle qui donne raison au pauvre quand il a raison, au riche quand il a raison, au national quand il a raison, à l'étranger quand il a raison. Est-ce que depuis le début de la crise ivoirienne, la situation ne s'est pas aggravée ?
C'est plausible. Vous savez quand un pays est en crise c'est tout qui est en crise. La justice est en crise, encore que nous dans notre cas par rapport à d'autres administrations, je pense que la justice a quand même fini de jouer le rôle qui est le sien d'être vraiment à équidistance de tous les belligérants. La corruption des magistrats c'est un fléau qui dure depuis des années et des années. Comment y mettre fin ?
Il faut d'abord que les magistrats puissent travailler correctement, que le magistrat qui prend des risques, qui vient en audience, qui peut finir tard, qu'en rentrant chez lui, il n'ait pas peur de se faire agresser dans la rue parce qu'il n'a pas de véhicule, parce qu'il habite dans un quartier avec les victimes, où il est le voisin de certaines personnes qu'il a à juger dans un certain nombre de cas assez sensibles. Le magistrat doit avoir les moyens de vivre décemment et de vivre la dignité et la loyauté que son serment lui exige. Il faut que le magistrat puisse exercer dans de bonnes conditions sans être tenté. Sans être tenté dites-vous. Pensez-vous qu'un juge sera moins tenté s'il est mieux payé ?
Je le pense. En Côte d'Ivoire, certains disent que vous êtes bien payé, puis que vous êtes mieux payé que les enseignants par exemple ?
C'est une polémique dans laquelle je ne voudrais pas rentrer. Mais, je pense que ceux qui le disent, devraient également savoir qu'il est interdit de par la loi aux magistrats d'exercer d'autres fonctions. Ça veut dire que le magistrat n'a pas la possibilité d'être enseignant ailleurs ou d'exercer d'autres activités qui quelque fois leur procurent autant de revenus sinon plus de revenus que le salaire qui est versé par la fonction publique. Est-ce qu'un jour, vous pourrez être indépendant à l'égard du pouvoir politique ?
Nous le sommes. L'indépendance, c'est une question d'éthique personnelle. L'indépendance, ce n'est pas uniquement vis-à-vis du pouvoir politique comme vous le dites. C'est une indépendance vis-à-vis des pouvoirs d'argent, vis-à-vis des voisins, vis-à-vis du village, vis-à-vis des parents, vis-à-vis des amis, vis-à-vis de la religion, vis-à-vis de toutes les contingences extérieures. Mais, il ne faut pas voir uniquement l'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, parce que les dossiers intéressant le pouvoir politique sont une toute petite partie. Un magistrat peut faire toute sa carrière sans avoir jamais rencontré un dossier politique.
Oui, mais quand un parent vient vous voir et vous dit ''cousine il faut m'aider'', qu'est ce que vous répondez ?
Mais, je lui dis que je ne peux pas. Je lui explique de façon courtoise que l'aide qu'il me demande m'amènerait à piétiner les intérêts de quelqu'un d'autre qui est forcement le parent de quelqu'un d'autre aussi.
Propos retranscrits par
Olivier Guédé

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