mercredi 9 mai 2007 par Fraternité Matin

Après une quinzaine de jours en Côte d'Ivoire, M. Serges Duhamel, attaché technique à l'OMD, a établi un diagnostic plutôt flatteur des douanes ivoiriennes. En quoi consiste exactement votre mission en Côte d'Ivoire ?
C'est une mission d'analyse des douanes ivoiriennes dans le cadre d'un programme important dénommé Colombus qui est un programme de renforcement des capacités des administrations douanières. Il est prioritairement destiné aux pays en développement. Qu'est-ce qui a présidé à l'élaboration du programme Colombus et depuis quand a-t-il été mis sur pied ?
Il a été mis sur pied en fin 2005. En réalité, on peut dire qu'il a commencé à être effectif au moment de la création de la direction du renforcement des capacités de l'Organisation mondiale des douanes en février 2006. C'est le besoin de faire l'inventaire des difficultés des administrations des pays en développement qui a présidé à la mise en place d'un tel programme. Avec l'irruption du concept de sécurité dans la chaîne de logistique internationale, on avait craint qu'un certain nombre de pays n'éprouvent des difficultés à adopter ces nouveaux outils. A la demande des pays en développement, on a donc créé cette direction du renforcement des capacités et on a mis en place ce programme Colombus pour faire le point des avancées techniques des administrations douanières. C'est essentiellement un programme de renforcement des capacités des administrations douanières.
Dans le cadre de ce programme, combien de pays de la sous-région avez vous déjà visités ?
Dans le cadre de ce programme, j'ai analysé une cinquantaine de pays à travers le monde. En Afrique de l'ouest, j'ai travaillé au Sénégal, en Côte d'Ivoire. Je crois pouvoir dire que j'ai travaillé dans tous les pays d'Afrique de l'Ouest sans exception.
Quel sentiment se dégage de l'analyse de l'administration douanière de ces pays de la sous- région ouest-africaine ?
Le premier constat c'est qu'il n'y a pas de fracture technologique au niveau des administrations douanières qui sont en général très équipées en termes d'outils informatiques. Ce qu'on relève plutôt c'est que dans de nombreux pays, les procédures ont peu intégré la facilitation. On a sécurisé la recette. On essaye de sécuriser la chaîne logistique et on se tourne progressivement vers la facilitation que les entreprises attendent pour bénéficier pleinement des échanges. Et c'est une étape qui ne s'aborde que très progressivement dans les pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre. Cela se justifie par le fait que les administrations douanières sont restées au coeur de l'ajustement structurel pendant des années et que même maintenant, elles assurent bon an mal an la moitié des recettes fiscales de l'Etat. Vous avez été, de 1991 à 1993, directeur général adjoint des douanes ivoiriennes, quel regard jetez-vous sur le chemin parcouru ?
J'étais effectivement l'adjoint de M. Doua Bi Kalou qui, après avoir été commissaire à l'UEMOA, est aujourd'hui expert d'un service technique du Fonds monétaire installé à Bamako. Je peux donc mesurer les efforts accomplis depuis cette époque. Nous étions au début de l'informatique. Nous étions au début d'un système qui je crois est arrivé à maturité. Nous étions à cette époque dans des approches basiques alors qu'actuellement, ce sont des approches complètement exhaustives qui utilisent tous les aspects de l'informatique. Quelle est l'importance de cette informatisation tous azimuts pour l'administration des douanes ?
L'informatique est incontournable pour la douane. Il y a une telle croissance des échanges qu'on ne peut pas continuer à traiter avec du papier des échanges internationaux. Partout, la multiplication des échanges a obligé les administrations douanières à recourir aux solutions informatiques. Aucune administration douanière ne peut fonctionner aujourd'hui sans l'outil informatique d'autant que ces administrations ont également la charge des statistiques du commerce extérieur. L'outil informatique joue donc deux rôles : sécuriser les opérations de recouvrement de l'Etat, donner à l'Etat les informations statistiques sur le commerce extérieur, accélérer et faciliter le dédouanement des marchandises. Que pensez-vous du SYDAM utilisé en Côte d?Ivoire et qui présenterait des limites selon certains experts ?
Ce sont des critiques normales. Tout système évolue en permanence et il y a des paliers technologiques à franchir qui tiennent compte des différentes évolutions scientifiques.
Quel est l'impact de l'informatique sur les performances de la douane en termes de recouvrement des recettes ?
L'informatique a joué un rôle essentiel. L'étape observée depuis 2000 est celle de l'optimisation de l'outil informatique. On a utilisé tous les aspects du système informatique pour être certain de maîtriser chaque étape du processus. A aucun moment il ne peut y avoir de zone d'ombre dans le processus d'autant plus que le point final est d'assurer le recouvrement des recettes au bénéfice de l'Etat. On a beaucoup investi dans la sécurisation des recettes et l'administration des douanes ivoiriennes a pleinement joué son rôle pendant cette crise socio politique. Trop d'impôts tuent l'impôt, soutiennent les experts. Cela est-il vrai pour la douane ?
Je crois que dans le cas de la Côte d'Ivoire, on a effectivement atteint un palier d'un haut niveau. Je ne suis pas sûr qu'il y ait encore beaucoup de gains de productivité dans l'administration douanière sauf à lutter contre les trafics frontaliers qui sont difficilement saisissables notamment dans le contexte actuel. Je crois qu'on a franchi un bon palier en termes de sécurisation des recettes et je ne crois pas qu'on fera des miracles de ce côté-là sauf si on assiste à une reprise économique marquée. Même dans un tel cas de figure, les marges de progression ne seront que celles qu'on observe habituellement dans le commerce international, c'est-à-dire 5 à 10% par an et guère plus, à moins qu'on ne modifie les tarifications. Une tel schéma n'est pourtant pas envisageable dans la mesure où la Côte d'Ivoire appartient à l'UEMOA et que les droits de douane sont décidés par l'ensemble des pays membres. Est-ce que cette harmonisation des droits de douane est effective dans les pays de l'UEMOA ?
Absolument. On parle effectivement d'un tarif extérieur commun. Même si on a eu du mal à le mettre en place, c'est un processus progressif. Les premiers travaux ont commencé en octobre 1993 et il a fallu huit ans pour boucler les études et parvenir à une entente entre les différentes autorités des pays membres. Les marchandises supportent donc la même taxation de droit de douane. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui ne dépend pas de la douane a été également établie pour tous les pays de l'UEMOA à 18%. On peut donc dire que les premières étapes de l'union douanière fonctionnent depuis des années et partout on a constaté que le TEC avait induit un abaissement des droits de douane. Abaissement dans certains pays comme la Côte d'Ivoire et le Sénégal, mais remontée des taux dans d'autres pays comme le Togo et le Bénin. En tout état de cause, ces taux sont partout raisonnables et ils assurent une bonne protection de l'économie nationale. Il est souvent reproché à l'administration douanière ivoirienne d'appliquer des droits de porte trop élevés, qu'en pensez-vous ?
Il faut être clair sur ce point. Le tarif extérieur commun mis en ?uvre ici a choisi une structure de tarification simple puisqu'il n'y a que quatre taux de droits de douane appliqués alors que dans certains pays développés on est au delà d'une centaine de taux. Le taux le plus élevé de tarification de droit de douane appliqué ici est en revanche de 20%. Au niveau de la CEMAC, on est pourtant à 30%. Dans de nombreux pays de l'Afrique de l'Est, on est à 30 voire 35%. Donc on peut considérer que la Côte d'Ivoire et l'UEMOA sont en avance. La productivité financière, en termes de recettes, de cette réforme est avérée. Le taux maximum de 20% est donc bien accepté par les opérateurs. Il faut aussi bien distinguer ce qui revient à la douane et ce qui revient à la fiscalité générale. Il y a le droit de douane et la tva. Evidemment quand on rajoute la tva et les petites taxes telles que le prélèvement communautaire de solidarité, redevance statistique et autres, on se retrouve à un taux qui frise les 42 voire 44%, ce qui peut paraître lourd. Vous venez d'achever l'analyse de l'administration douanière ivoirienne. Quelles sont vos premières conclusions ?
Des bons points sont à relever au niveau du recouvrement des recettes et du management interne. On a non seulement utilisé l'informatique pour améliorer et sécuriser les recettes, mais aussi on l'a utilisé pour suivre à tout moment l'évolution de ces recettes et apprécier le fonctionnement des services. Donc à tout moment on sait quel est le niveau des recettes, quelle déclaration est déposée dans tel bureau de douane etc. On peut donc s'inquiéter de savoir pourquoi telle déclaration qui se trouve dans tel bureau n'a pas encore été traitée depuis telle date. Il reste maintenant à déterminer la charge de travail des bureaux. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle est fluctuante en fonction des opérations de commerce international et la répartition des effectifs devrait se faire en permanence. Ici, il y a eu de nombreux départs, notamment des cadres d'exécution et de nombreuses recrues. Le vrai enjeu demeure toutefois le redéploiement des services douaniers sur l'ensemble du territoire. A l'occasion de ce redéploiement, il faudrait utiliser partout un équipement qui se rapproche de celui d'Abidjan. On pourrait peut-être permettre aux pays voisins de s'accrocher à ce système et procéder à des échanges de données sur le mouvement des marchandises comme cela se fait en ce moment avec le Ghana. SYDONIA, le système de dédouanement que ces pays utilisent (Guinée, Burkina, Mali) devrait bien s'adapter au prochain outil informatique des douanes ivoiriennes SYDAM WORD. Sydonia est un système qui a été développé par la CNUCED et qui a été porté vers tous les pays qui ont souhaité l'adopter. Ils sont environ 80 dans le monde. La dernière version s'appelle Sydonia word mais ici en Côte d'Ivoire, elle s'appellera SYDAM WORD. Peu de pays l'utilisent. Après la Moldavie, la Côte d'Ivoire sera vraisemblablement le deuxième pays. Il sert donc un peu de test à la mise en ?uvre de ce produit. Je ne me fais pas trop de souci dans la mesure où le savoir- faire acquis dans le domaine informatique en Côte d'Ivoire nous met à l'abri de mauvaise surprises. Quand est-ce que SYDAM word pourra être opérationnel, selon vous ?
Je n'ai pas une idée précise mais j'imagine qu'il faut encore compter une année. La durée moyenne de mise en ?uvre de ce type de programme, c'est en moyenne un an et demi voire deux ans et demi. Si on vous demandait ce qu'il faut faire pour rendre l'administration douanière ivoirienne encore plus performante, que diriez-vous ?
Je dirais que ce qu'on a fait pour les opérations commerciales, pour le dédouanement des marchandises, il faut le faire à présent pour les services de surveillance, les brigades surtout qu'on va avoir à redéployer sur le territoire national. Tous ces progrès de productivité, toute cette organisation mise en place pour le dédouanement des marchandises, il faudrait les porter sur les services de surveillance traditionnelle. Il va falloir à la fois disposer d'une structure à niveau et d'agents à niveau. Concernant la structure, je crois savoir, sans trahir de secret, qu?il y a un projet d'organigramme et d'organisation de l'administration douanière. Dans le même ordre d'idées, il y a un projet de statut de militarisation. Le redéploiement et la mise à niveau des services de surveillance se feront donc dans ce triple contexte.
La militarisation est-elle vraiment importante pour le corps des agents des douanes ?
C'est un choix. Dans l'administration douanière française, vous avez deux corps : une branche traite du dédouanement et des opérations commerciales et l'autre fait de la surveillance. La branche qui survit le mieux est celle de la surveillance. Celle qui traite les opérations commerciales enregistre une réduction de ses effectifs à cause des nouvelles technologies. Je pense qu'on aura ce schéma en Côte d'Ivoire un peu plus rapidement qu'on ne le pense. C'est-à-dire qu'on va redistribuer sur l'ensemble du territoire un certain nombre d'agents et à Abidjan, il n' y en aura qu'un petit nombre parce que le gain de productivité à travers l'outil informatique permet de réduire le nombre d'agents dans les grands bureaux de douane. Partout, l'outil informatique fait que les besoins en effectif pour les fonctions traditionnelles de dédouanement sont moindres. Par contre, la surveillance du territoire exige toujours d'assez gros moyens en termes de matériel et un assez grand nombre d'agents. Contrairement aux habitudes, la désignation de l'actuel directeur général de l'administration des douanes ivoiriennes s'est faite par appel à candidatures. Que vous inspire une telle pratique ?
C'est une technique de choix des ressources humaines qu'on utilise dans de nombreux pays. A l'Ile Maurice par exemple, il y a trois ou quatre ans, les autorités ont fait un appel d'offres à candidatures international. Ce qui fait que dans ce pays, c'est un étranger originaire d'une administration étrangère des douanes qui est le directeur général des douanes. L'appel d'offres à candidatures est donc un schéma de plus en plus fréquent. Dans les grandes entreprises privées européennes, on ne se soucie pas de savoir si le dirigeant est de tel ou tel pays. On se soucie de savoir s'il va bien faire tourner l'entreprise. Je pense qu'à terme, bien que la fonction publique soit réservée aux nationaux, on aura la possibilité de passer d'une administration d'un pays à celle d'un autre. On pourrait avoir le même phénomène dans la sous-région. Mais il n'est pas anormal que pour manager des administrations on puisse avoir recours par appel d'offres à des compétences avérées dans certains domaines précis.
Je viens du Congo Brazzaville où il y a un directeur de l'informatique dans l'administration douanière qui n'était pas précédemment un fonctionnaire des douanes, mais plutôt agent d'une grande entreprise internationale des télécoms. Je crois que c'est la même chose au Togo où le directeur général des douanes est l'ancien patron de l'office des télécommunications.
Peut-on dégager des similitudes ou des différences très nettes entre les administrations douanières des pays africains et celles des pays développés ?
Il y a de moins en moins de fracture dans ce domaine-là. Les outils internationaux qu'utilisent les administrations douanières sont des outils communautaires. Dans le domaine douanier, l'organisation de référence, c'est l'Organisation mondiale des douanes (OMD) et ses conventions ou instruments de travail sont partagé par toutes les administrations. Bien souvent quand les douaniers échangent, ils n'ont même pas besoin de finir leurs phrases parce qu'ils utilisent les mêmes concepts qui sont rigoureusement définis. Par ailleurs beaucoup plus rapidement qu'on ne le croit, les administrations douanières seront interconnectées. Peut-être que demain toutes les douanes de la sous-région vont communiquer entre elles à travers un système. Il n'est pas interdit de penser que sur la base d'un accord, deux administrations échangent systématiquement entre elles des informations. Ici on a commencé ce schéma qui s'appelle le bordereau de suivi des cargaisons. C'est un document qui est réalisé à l'extérieur avant même que la marchandise n'arrive sur le territoire. Au moment où elle embarque, vous avez la connaissance du connaissement, du titre de transport, de la facture de la marchandise, de la déclaration d'exportation du pays de départ. Toutes ces informations sont donc expédiées de façon anticipée à l'administration douanière ivoirienne qui y travaille avant même que la marchandise n'arrive. On traite donc de la pré information. Cela permet une traçabilité de toutes les marchandises et la prise à l'avance des dispositions idoines. Quels sont les enjeux de l'OMD ou en d'autres termes quelles en sont les pesanteurs et les perspectives ?
L'OMD est une organisation intergouvernementale qui regroupe 172 pays, soit 99% du commerce international. Mais sa compétence se limite strictement au domaine douanier. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) partage certaines des compétences de l'Organisation mondiale des douanes. Or les cycles de discussions de l'OMC connaissent parfois de sérieux blocages. Depuis le cycle de Doha, plus rien. Mais il semblerait que les cycles de discussion commerciale internationale vont redémarrer. Il semblerait également qu'on va demander à l'OMD de reprendre l'analyse de toutes ces administrations sous l'angle des échanges internationaux. Au total, si l'OMD est un outil de référence, il est également dépendant des autres dont le FMI . Quand dans une région des difficultés financières apparaissent, il est évident que les administrations de ces pays sont les premières concernées et on assiste à ce moment-là à une forme de gel des réformes. Donc tout le monde n'avance pas en même temps. C'est pourquoi le programme Columbus qui a été mis en place va inventorier les difficultés et essayer de trouver des solutions communes. L'intérêt essentiel de l'OMD c'est de faire en sorte que toutes les administrations douanières soient à peu près au même niveau. Quel regard jette l'OMD sur les préférences communautaires et les accords de partenariats économiques dans la nouvelle configuration du commerce mondial?
Pour l'OMD, ce n'est que positif. On peut même penser que dans 20 voire trente ans, il n'y aura pratiquement plus de droits de douane. Si vous prenez le chemin fait par l'Union européenne, les droits de douane qui sont tous remis au budget communautaire, ne sont plus une ressource significative pour les budgets de ces Etats. L'objectif c'est d'avoir des échanges libres avec bien sûr des taxations nationales telle la TVA. Pour ce qui est des droits de douane, je crois qu'ils sont appelés à terme à disparaître. Pour faciliter la circulation des marchandises, il va en effet de soi qu'il faut lever les barrières, ce qui signifie d'abaisser de façon certaine les droits de douane. Toutefois, il y a un autre type de barrières qu'on ne maîtrise pas dans les pays en développement, ce sont les normes, qu'elles soient administratives ou techniques. Un des grands enjeux de la régulation des échanges internationaux, c'est que les pays en développement utilisent ces outils de base. Il n'est pas normal que tel produit interdit dans tel pays, entre tout à fait librement dans tel autre au détriment des producteurs ou consommateurs locaux. Qu'est-ce que l'OMD pense du commerce équitable et quelles sont les relations entre cette institution et les administrations douanières ?
Le commerce équitable n'a pas été un grand sujet de préoccupation dans la mesure où il vise à donner au producteur, au fabricant un meilleur revenu au regard de son travail. Pour l'OMD, le commerce équitable qui ne concerne pour l'instant qu'un très faible volume des produits échangés, ne pose donc pas de problème. Bien au contraire. Les relations entre l'OMD et les administrations douanières sont permanentes. Il y a eu par exemple en fin mars une réunion de l'ensemble des administrations douanières d'Afrique centrale et de l'Ouest à Yaoundé. Il y a en permanence des activités au Burkina au travers de notre centre régional de formation basé au sein des douanes burkinabé. Il y a eu récemment de nombreuses réunions à Dakar avec pour thème la contrefaçon. Il y aura très prochainement à Dakar et Ouagadougou des ateliers sur la lutte contre la fraude, etc.

Interview réalisée par
Koné Soungalo

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