mardi 8 mai 2007 par Fraternité Matin

à l'issue de la célébration de la quinzième journée mondiale de la liberté de la presse,
le premier responsable du département de la communication fait l'état des lieux et parle de ses priorités.
M. le ministre, quel sens accordez-vous à la journée mondiale de la liberté de la presse et quel message à l'endroit des journalistes de Côte d'Ivoire, au moment même où le monde entier célèbre la journée mondiale de la liberté de la presse?
La journée de la liberté de la presse, qui a été instituée à Windhoek en 1991, est sans doute une excellente initiative. En même temps, je me dis que le fait qu'on réaffirme chaque année cette liberté là, est la preuve paradoxalement qu'elle n'est pas encore suffisamment ancrée. En Côte d'Ivoire, depuis plusieurs années, cette journée est plutôt l'affaire des organisations professionnelles. Cela me paraît normal. Mais je dirai qu'au-delà de cette journée du 3 mai, qui est à la limite une forme de pétition de principe, il faut aussi se poser la question de savoir quels moyens véritables l'on peut donner aux médias en général afin que cette liberté soit pleine et entière. Je veux parler à la fois des conditions d'exercice de ce métier, de l'épanouissement des entreprises de presse, de la libéralisation de l'espace audiovisuel. Tout cela me paraît extrêmement important pour que cette liberté sur laquelle nous sommes tous d'accord, ait son véritable sens. Il faut des entreprises qui fonctionnent et remplissent leur mission de service public (même si elles sont privées dans certains cas). De sorte qu'elles aient un auditoire, des lecteurs respectés et qui les respectent, qu'elles aient les moyens de rémunérer correctement leurs collaborateurs. Tout cela participe de la liberté. Il ne suffit pas de clamer ce concept de liberté si en même temps, les conditions économiques, parfois même institutionnelles voire d'autres actions insidieuses, entravent cette liberté. Donc effectivement, le 3 mai est très important pour la liberté de la presse. Mais je dirai que tous les jours de l'année sont des jours essentiels pour aider la presse et les médias à s'épanouir.

Vous êtes une référence en matière de communication en Côte d'Ivoire. Ce qui vous vaut aujourd'hui d'être nommé à la tête du ministère de la Communication.
Quel regard jetez-vous en tant que professionnel sur le secteur dont vous avez la charge?

Je dois dire que l'accueil qui m'a été réservé par les confrères, par les professionnels du secteur m'a énormément fait plaisir. En même temps, je me rends compte que cela accroît mes responsabilités, parce que le poids des espérances me semble tout d'un coup énorme. J'ai le sentiment que l'on attend toujours beaucoup de quelqu'un du sérail, comme certains confrères l'ont écrit.
Quelles sont vos premières impressions?
Nous arrivons dans une conjoncture assez délicate. La presse ivoirienne a ceci de paradoxal qu'elle n'est pas tout à fait démunie ; elle donne même une certaine illusion de prospérité. Pourtant, elle est confrontée à des problèmes structurels de grande ampleur qui, s'ils n'étaient pas dénoués, pourraient compromettre son expansion. Le diagnostic concernant la presse est connu. C'est un diagnostic ancien. Il est vrai que de nouvelles variables peuvent être intégrées. On s'aperçoit qu'il y a une presse écrite très dynamique qui s'est professionnalisée, malgré tout ce qu'on en a dit. Mais qui, en temps de crise, a montré d'énormes faiblesses au point qu'elle s'est retrouvée indexée, parce qu'elle a dû prendre en quelque sorte en charge tous les courants qui agitaient la société. Donc elle a été le reflet de toutes les dissensions. Et, comme à un moment donné, personne ne parlait, évidemment la presse était plus audible.
Je pense aussi qu'une partie de cette presse a été particulièrement loin dans ses prises de positions.
Qu'en est-il des médias publics ?
S'agissant des médias publics, tout le monde sait qu'il y a eu beaucoup de soubresauts, beaucoup de problèmes. De la violence même. Mais ce qui est important, c'est qu'après avoir tout essayé et être passé par toutes sortes de phases critiques, le moment est venu de poser sereinement la question de la gouvernance des médias publics. C'est une tâche à laquelle nous allons nous atteler. Je le dis souvent, la télévision est une composante essentielle, mais elle n'est pas le seul élément de la presse. Nous sommes, hélas dans une situation où la télévision aspire 80% des ressources financières du secteur des médias et absorbe 90% de l'énergie humaine de tous ceux qui s'en occupent. C'est pourquoi, il faut avoir beaucoup de recul et analyser très froidement le système médiatique pour essayer de comprendre que, malgré les apparences, commence à se dégager un consensus sur un certain nombre de questions. Par exemple, l'accès équitable aux médias publics n'est vraiment contesté par personne du moins dans les principes. C'est vrai qu'un certain nombre de modalités continuent de poser problème, mais nous entrons dans une phase aujourd'hui où des responsables politiques, au plus haut niveau, ont décidé eux-mêmes, de dépasser certaines situations. Je pense dès lors que cela aura un impact positif sur la gouvernance des médias publics. Bien sûr, les attentes sont fortes; on décèle aussi quelque impatience. Mais, vous savez, Il y a deux approches : certains veulent le brûlis, d'autres le sarclage. J'ai ma préférence évidemment. De façon très concrète, pour le temps que vous aurez à passer à la tête de ce département, quels sont les axes prioritaires sur lesquels vous entendez agir afin que la presse soit le reflet de ce que vous souhaitez?
Je crois qu'il faut être modeste. Il y a un certain nombre de chantiers déjà ouverts. Des outils se mettent en place, qu'on peut actionner. Mais cela ne suffit pas pour avoir une presse idéale, il ne faut pas se faire trop d'illusions. Ce sont des outils qui peuvent aider, mais qui ne peuvent pas transformer du tout au tout la réalité professionnelle de la presse. Cependant la question qui me paraît essentielle est la condition du journaliste, parce que dans tout système, il faut partir des hommes. En Côte d'Ivoire, la condition du journaliste ne s'est pas beaucoup améliorée, j'allais dire depuis 15 ans. J'ai pour habitude de dire que finalement, ce sont les journalistes eux-mêmes qui ont financé le relatif développement de la presse en Côte d'Ivoire. Parce que le prix des intrants n'a pas baissé, le prix des machines n'a pas non plus baissé. Au contraire, les facteurs de production ont connu une hausse tendancielle. Ce qui a en revanche contribué à maintenir cette presse, c'est l'exploitation de la ressource humaine dans tous les sens du terme. C'est ce qui a permis à cette presse de se développer. Donc il nous faudra regarder la condition du journaliste.
Que comptez-vous faire?
Cela passe nécessairement par la Convention collective. De ce point de vue, nous avons déjà pris un certain nombre de mesures pour activer à nouveau, les discussions. Nous sommes tous d'accord pour dire que cette convention doit être consensuelle. Lorsqu'on dit convention et collective, c'est bien parce qu'on recherche une base minimale d'accord. Il y a même une sorte de redondance. Mais nous avons quand même voulu donner un cadre légal à cela. C'est pour cela que conjointement avec d'autres collègues, nous allons prendre un arrêté pour instituer et définir le cadre de négociation de cette convention collective. Je pense que cela peut être une avancée significative.
Au-delà de la convention collective, il y a un aspect qui me préoccupe beaucoup. Il s'agit de la sécurité sociale du journaliste et des hommes de médias d'une façon générale. Je le disais la dernière fois au Conseil national de la presse (CNP), il ne faut pas que le journaliste soit au début de sa carrière, un jeune mendiant et à la fin de sa carrière, un vieux clochard C'est pour cela que nous allons impliquer tous ceux qui ont de l'expertise dans le domaine de la protection sociale pour que, compte tenu de la nature spécifique de la profession de journaliste, ils puissent conseiller des solutions de protection sociale bénéfiques aux journalistes et aux entreprises de presse.
L'autre volet non moins important est l'appui aux entreprises de presse... En effet, ce volet est très important. Il est vrai qu'on a souvent parlé du Fonds d'aide et de soutien à la presse. Je sais que ce fonds suscite pas mal d'espoir chez certaines entreprises de presse. A tort ou à raison. Je sais aussi que cela soulève beaucoup de scepticisme auprès de certains qui pensent qu'un fonds ne sert à rien. Ma position à ce niveau est assez simple : Un fonds ne suffit pas pour sauver de mauvais journaux, pour sauver des entreprises de presse gérées en dépit du bon sens. Un fonds peut être, cependant, un appoint pour donner une seconde chance de survie à un journal qui essaie de développer une bonne qualité éditoriale, à une entreprise qui a vraiment besoin d'un appui pour son développement économique. Je dirai au total que ce fonds là ne fera pas de miracle parce qu'il ne pourra pas sauver des entreprises moribondes. En revanche, c'est un fonds qui, à mon avis, judicieusement utilisé, peut donner un second souffle aux entreprises de presse ambitieuses.
Où en est la question de la Carte professionnelle des journalistes?
Cette carte a existé, puis a été confrontée à un certain nombre de problèmes. Maintenant, il n'y a plus d'obstacles pour qu'elle voie à nouveau, le jour. La commission est en place, les représentants des différents organismes sont désignés. Nous allons prendre un arrêté pour l'instituer. Evidemment, la première année sera sans doute un peu chaotique, non seulement à
cause des contraintes de fonctionnement, mais également du fait de la perte d'habitude d'usage même de cette carte d'identité. Nous espérons que très rapidement, cela va devenir une réalité. De sorte qu'au fur et à mesure, on puisse apporter des correctifs. Mais étant donné que nous sommes dans un processus de paix, via un processus électoral, on ne peut pas différer indéfiniment cette question de la carte d'identité des journalistes.


Interview réalisée par
N'Dri Celestin
Correspondant régional
(à Yamoussoukro)

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