mardi 8 mai 2007 par Le Front

La reggae-star ivoirienne, Alpha Blondy est aussi ?'messager de la paix'' de l'Organisation des Nations unies (Onu) dans la crise ivoirienne. L'accord issu du dialogue direct de Ouagadougou semble permettre à la Côte d'Ivoire de retrouver sa stabilité d'antan. En sa double qualité de citoyen de ce pays et de messager de la paix, Koné Seydou Alias Alpha Blondy salue dans l'interview qu'il nous a accordée, samedi dernier, le sacrifice de toute la classe politique ivoirienne. ?'Jagger ?' en profite surtout pour non seulement encourager tous les Ivoiriens dans ce sens, mais aussi pour mettre en garde les va-t-en guerre. ?'Ne tirez pas sur l'ambulance'', avertit-il. Il s'est également prononcé sur son nouvel album intitulé ?'Victory''. L'artiste entend organiser un grand concert pour la paix avec les figures de prou de la politique ivoirienne. Vous étiez à l'extérieur du pays lorsque les ex-belligérants dans la crise ivoirienne signaient l'accord de Ouagadougou à l'issue du dialogue direct. En tant que messager de la paix, quels sont vos commentaires sur l'actuelle configuration politique ?

Je suis très heureux et fier de ceux qui ont signé la paix. Je suis de c?ur avec eux et ils auront droit à toute l'énergie en ma possession pour que cette paix soit une réalité. Dieu nous (les Ivoiriens ndlr) a inspirés parce qu'il était à l'écoute de la douleur des Ivoiriens, il a vu les larmes des Ivoiriennes, il a vu les larmes des Ivoiriens. Avec cet accord, le bon Dieu a voulu essuyer nos larmes en inspirant M.Laurent Gbagbo, M.Guillaume Soro et les Forces nouvelles et tous ceux qui, dans l'ombre, ont de près ou de loin contribué à ce miracle. Je voudrais donc leur dire merci. Partout où j'étais en tournée, aux Antilles, c'est-à-dire en Martinique, à la Guadeloupe, à Saint-Martin, en Haïti, des Ivoiriens ont eu les mêmes assentiments. Ils ont souhaité que tous, de toute tendances confondues, nous soutenions de toutes nos forces ce processus de paix. ? Selon vous, la rencontre que vous aviez soutenue, entre Blé Goudé et les jeunes leaders houphouétistes a pu être pour quelque chose dans cette décrispation ?
Je crois que cette paix n'est pas une affaire d'un seul individu. C'est le collectif qui a permis de réaliser ce v?u. Et tous, nous saluons cet acte de paix. C'est pour quoi, je voudrais du fond du c?ur dire grand merci à mon petit-frère Blé Goudé. Parce qu'il m'a écouté, j'en ai fait de même à son égard . Il m'a aussi donné des idées. Il en est de même pour mes petits-frères Kouadio Konan Bertin (KKB), Karamoko Yayoro et Blé Guirao. Ils ont tous contribué à l'avènement de cette paix. Même si, des fois, certains ont eu à tenir des discours quelque peu véhéments. Mais, j'avoue qu'ils m'ont aidé pour qu'on arrive à cette situation d'accalmie qui prévaut en ce moment. Pour être franc avec vous, je ne savais pas par où il fallait commencer. Tous m'ont apporté des conseils. Je tiens, par votre canal, à leur témoigner ma reconnaissance. Ils ont semé une graine, et un arbre a poussé. Je n'ai, sincèrement parlant, aucun mérite. Parce que politiquement, je ne suis pas à la hauteur. Ce sont ces jeunes gens qui m'ont vraiment conseillé. Des fois, je les appelais à des heures avancées pour me sortir d'affaires. Je voudrais aussi dire merci à tous les frères. Seul Dieu peut remercier Laurent Gbagbo pour sa grande humilité. Il a pris un précieux temps pour m'écouter. Mes petits-frères Soro, Chérif Ousmane, Wattao, Konaté Sidiki, Messamba, Zakaria et les autres des Forces nouvelles m'ont aussi écouté. Et je voudrais les saluer pour l'accueil chaleureux qu'ils m'ont reservé à Bouaké. Je n'oublie pas les ambassadeurs d'Israël, des Etats-Unis, mon grand-frère André Janier, l'ambassadeur de France et le général Lecerf (commandant des forces françaises, ndlr) qui m'ont tous écouté. Tout comme Djédjé Mady du Pdci-Rda, Anaky Kobena du Mfa, Affi N'guessan du Fpi, Mamadou Koulibaly, président de l'assemblée nationale, mon grand-frère Laurent Dona Fologo. Le Premier ministre Charles Konan Banny m'a lui aussi ouvert le c?ur en me recevant. Je me tourne aussi vers nos militaires pour saluer les généraux Mangou et Bakayoko des Fanci et Fafn. Pour l'occasion, je voudrais lancer un appel à mon frère le général Mathias Doué pour qu'il revienne à la maison. La Côte d'Ivoire est une famille. Notre guerre, je le répète, était une guerre dans une cour commune. Il ne peut pas avoir de vainqueur. Et je vous l'avais déjà dit. Mais aujourd'hui, c'est à la victoire de Dieu que nous assistons en ce moment. Dans dix ans et plus, nous reparlerons. Mais croyez-moi, tout accouchement est douloureux. Cette nouvelle Côte d'Ivoire va redémarrer. Cet accouchement que nous venons de subir, est un départ rayonnant. C'est un nouveau lever du soleil.
? Comment expliquez-vous le fait que des Ivoiriens qui se sont regardés en chiens de faïence depuis près de cinq (5) ans, viennent subitement à se mettre d'accord au point de partager le pouvoir d'Etat ?
Sache que Dieu éprouve toutes ses créatures. Ce que la Côte d'Ivoire vient de subir n'est que épreuve de Dieu sur la route des nations. Après cette épreuve, notre fraternité ne sera que renforcée. Et plus jamais, que Dieu me pardonne si je dis plus jamais, plus jamais, quelques esprits malins ne pourront diviser les Ivoiriens. Parce que cette alliance nouvelle est née dans nos larmes et dans le sang des Ivoiriens. Et nous ne pouvons que dire merci à Dieu de nous avoir ouvert les yeux. Nous prions pour qu'il continue d'ouvrir les yeux et apaiser les c?urs qui, chez certains, sont peut-être en retard. Mais qui ne sont pas perdus. Le train, le bus, le wôrô-wôrô, le gkaka de la paix ne laisseront personne sur le trottoir. Aucun Ivoirien ne sera omis.
? L'accord de Ouagadougou est-il pour vous un deal entre Gbagbo et Soro, comme le prétendent certains ?
Oui ! j'y vois un deal. Mais, un deal pour la paix, bien entendu. Dans la vie, il y a toujours des deals. Même quand on drague une fille, il y a un deal pour l'amener où on sait. Quand tu fais du trafic commercial, il y a un deal. Faisons plutôt la somme de ce qui nous rapproche. Et tout nous rapproche. C'est pourquoi, je ne pense pas à des deals au détriment de la Côte d'Ivoire. Non, ce n'est pas vrai. Moi, j'ai eu la chance de parler avec Laurent Gbagbo. Il est sincère. J'ai eu la même chance avec M.Soro Guillaume. Il est lui aussi sincère. Donc, je ne voudrais me jeter dans des procès d'intentions. Non, pas du tout. Je voudrais donc demander aux Ivoiriens d'arrêter d'avoir peur et d'arrêter de voir la trahison partout. Ne tirez pas sur l'ambulance, parce que cette ambulance porte l'espoir des Ivoiriens. Qui est la Côte d'Ivoire, un pays meurtri et blessé. Alors, encore ne tirons pas sur l'ambulance. Et pour ça, je vous demande pardon.
(Pris d'émotion, Alpha Blondy fond en larmes).
? Vous pleurez ?
Non, je ne pleurs pas !
? Bon, vous coulez des larmes, alors ?
Aucune larme, continuons.
? Vous demandez à chacun des Ivoiriens de faire un pas vers la paix. Est-ce que vous pensez avoir été compris, au regard de cette situation ?
Oui, nous sommes sur la route de la paix. Puisque chacun a fait un pas. Chacun a mis de l'eau dans son vin, dans son bissap ou dans son champagne, pour parler comme chez nous. En tout cas, les faits sont-là. La route de la paix est très longue. Nous sommes parvenus à arrêter la guerre. Maintenant, il nous faut verrouiller la paix, car, elle doit être protégée. Nous devons faire en sorte que cette paix soit durable et non fragile ou précaire.
? Mais le G7 qui regroupe les houphouétistes et les Forces nouvelles est miné par des incompréhensions. Celles-ci ne risquent-elles pas d'influer négativement sur le processus de paix ?
Je ne pense pas que qui que ce soit ait intérêt à ce que la guerre reprenne. Je crois que l'on gagnerait à contribuer à la concrétisation de cette paix-là. Je ne pense pas qu'ils oseront tirer sur l'ambulance. Je ne pense pas, parce qu'ils n'ont vraiment pas intérêt. Le G7, le Rhdp, le Cnrd, sont tous des Ivoiriens. Je pleure de joie parce que nous sommes loin des moments de braise. Je pense qu'il faut penser positif. Je ne crois pas que le Rhdp veuille tirer sur l'ambulance. ? Vous avez passé un mois et demi à Paris, pour quoi faire concrètement ?
J'étais en tournée et puis je suis entré en studio pour finir mon disque. J'avais dit que mon disque sortirait après la guerre. Dieu merci, la guerre a pris fin. Mon disque sortira en juillet. Comme je vous le disais tout à l'heure, je suis allé en Martinique, à la Guadeloupe, en Haïti, à Saint-Martin. Ensuite, je suis rentré en studio pour finir l'album. ? Effectivement, vous aviez déclaré que vous ne sortiriez pas d'album tant que la guerre n'aurait pas pris fin. S'il est vrai qu'on file droit vers la sortie de crise, la Côte d'Ivoire n'est pas totalement sortie de l'auberge ?
Si, si. Ce que vous ressentez actuellement s'appelle une onde de choc. Mais, la guerre en tant que telle est terminée, croyez-moi. La paix est là. Allons dans ce sens. Ne parlons pas de la bouteille à moitié vide. Parlons plutôt de la bouteille à moitié pleine.
? Vous parlez de votre nouvel album. Comment s'intitule-t-il ?
Il s'intitule ?'Victory''. Victoire en français. La victoire de Dieu sur le mal. La victoire de l'amour sur la haine. La victoire de la lumière sur les ténèbres. Il sort en juillet par la grâce de Dieu et est composé de 18 titres. ? Dans quelle condition, l'avez-vous enregistré ?
C'était agréable. En studio, tout le monde est venu. Les frères et les s?urs résidant à Paris nous ont beaucoup soutenus. Qui avec de la nourriture, qui avec de la boisson. En tout cas, c'était dans une ambiance bon enfant. Le frère Wattao est venu me voir, ainsi que Serges Fattoh Elleingand. J'ai dépensé, c'est vrai, mais financièrement ils m'ont vraiment aidé. Et je voudrais leur dire merci. Merci à mon petit-frère Ousmane, à Wattao, à Gomez Ouattara. Et tous ceux qui sont venus. Je n'oublie pas Didier Bilé, Julien Goualo, Amy Bamba et les autres. Vraiment tout s'est passé dans la bonne humeur et la solidarité. Quand on écoutait certains titres, on pleurait ensemble. Donc, les Ivoiriens qui sont là-bas (ndlr : Paris) sont très contents de la situation de paix que traverse en ce moment leur pays, la Côte d'Ivoire. On n'a pas le droit de leur enlever cette joie là. N'empoissons pas l'esprit positif. Quand tu penses positif, le positif revient. C'est pareil quand tu penses négatif. J'ai confiance en Gbagbo, j'ai confiance en Soro. Idem pour les Fanci et le Fafn. Je dis non à ceux qui pensent que le Rhdp va semer la zizanie. Le Rhdp a tout à perdre et ce sont des Ivoiriens qui aiment la Côte d'Ivoire. Alors, ils ne feront pas cela. Financièrement parlant, combien vous a coûté l'enregistrement de ?'Victory''?
Je n'avancerai pas de chiffre. L'essentiel est qu'il est là et il sonne gravement bien. Ça déchire ! Quels sont les artistes qui vous accompagné en studio ?
On a travaillé d'abord ici (Ndlr : à Abidjan). Après une première pré- programmation à Abidjan avec mon petit-frère Babulex et son ami, que j'appelle affectueusement le plus mince de la république. En Europe, il y a Tyrone Downie qui est un grand musicien. Sly Dunbar et Robbie Shakespear ont également mis beaucoup d'énergie, ils se sont énormément investis. Tous les grands dinosaures du reggae et l'équipe de TUFF Gong (ndlr : orchestre de feu Bob Marley) m'ont prêté main forte. Maintenant, je voudrais dire merci à Tyrone qui pilotait pratiquement tout en studio. Après leur travail en Jamaïque, Sly et Robbie ont accepté de venir à Paris pour jouer sur des morceaux qu'on avait ajoutés. Je peux dire que cet album a été béni de Dieu. Car, les musiciens y ont vraiment mis leur c?ur. Julien Goualo, le plus grand des Toura, y a apporté sa touche au niveau de la percussion. La kora a été jouée par Djéli Moussa, qui est reconnu comme étant le plus rapide du golf de Guinée. Il y a un ami Breton qui a joué la cornemuse (instrument de musique d'origine écossaise. Et puis j'ai mon guitariste Lucos Martinez qui a mis l'amour conjugué de tous les grands amoureux de la musique reggae. On a accentué la dimension africaine en faisant intervenir des instruments africains comme la kora
Dans un de vos titres, vous parlez de ?'Mister grande gueule''. A quoi Alpha fait-il allusion ?
Non ! A personne. ?'Mister grande gueule'', quand vous allez écouter, vous comprendrez. C'est très joli comme chanson. Vous allez aimer. Dans un second titre, vous évoquez la disparition du défunt président du Burkina Faso, Thomas Sankara. N'avez-vous pas peur de la réaction du peuple burkinabé, par rapport à la sensibilité de cette affaire ?
Non, pas du tout. Cette chanson, je l'appelle un vaccin anti-coup d'Etat. Dans la chanson, je dis ?'Sankara, c'est tes bramôgôs qui t'ont dja'' (en d'autres termes ce sont tes frères qui t'ont tué). Et j'ai dit, le pouvoir se prend par les urnes et non par les armes. J'ai également dit que quand il y a un coup d'Etat, les frères d'armes deviennent des ennemis. Et le cas Sankara-Blaise Compaoré illustre cela. Ce qui est intéressant, c'est qu'on ne peut pas reprocher à Blaise Compaoré d'avoir survécu à ce duel. On est d'accord ? Parce que toujours quand il y a un coup d'Etat, les frères d'armes deviennent ennemis. Je dis bien, de vengeance en vengeance, l'Afrique est tombée dans la déchéance. Et vouloir venger Sankara c'est perpétuer la bêtise politique. Ce qui veut dire que je ne veux pas qu'on touche à Blaise. A un moment donné, il faut arrêter. Et c'est valable pour la Côte d'Ivoire et pour tous les pays africains. Qu'on arrête ces coups d'Etat sempiternels, ces vengeances à la con. Nous devons aller résolument vers une démocratie. Le pouvoir des urnes contre le pouvoir des armes. Maintenant ceux qui veulent politiser ce titre, c'est leur problème. Moi ce que je dis, c'est pour faire prendre conscience aux uns et aux autres. L'Afrique est un vieux continent, les politiciens sont de jeunes politiciens par rapport à leurs alter-égo européens. On ne va pas demander à un enfant de 5 ans de faire les mêmes prouesses qu'un monsieur de 40 ans. Depuis toutes ces années, les ?'bramôgôs'' ont soif de vous voir sur scène. A quand donc un concert d'Alpha Blondy à Abidjan ?
Attendons d'abord que l'album sorte en juillet. Ensuite on verra. Je suis en train de me battre. J'ai envoyé des courriers pour qu'on m'aide. Le président Gbagbo m'a déjà apporté son aide, j'attends les autres, car organiser un concert de cette envergure demande beaucoup de fonds. Ça coûte extrêmement cher. Parce que je veux voir sur scène M. Laurent Gbagbo, M. Alassane Ouattara, M. Soro Guillaume, Sidiki Konaté, Soumaïla Bakayoko, M. Bédié, Affi N'Guessan, Blé Goudé, KKB Tout le monde. Ensemble on va chanter l'hymne national et puis le show va être grave jusqu'au petit matin. Ce sera une fête familiale car la guerre est bel et bien terminée. Pour finir, je voudrais dire à la classe politique ivoirienne de suivre l'exemple de l'équipe nationale de Côte d'Ivoire. Tout le monde ne peut pas être avant-centre ou attaquant. Mais tout le monde constitue les Eléphants de Côte d'Ivoire. Je voudrais les Eléphants politiques. Je voudrais que les cerveaux politiques de Côte d'Ivoire se mettent ensemble pour faire avancer le pays.

Interview réalisée par Ouattara Abdoul Karim et Patrick Méka

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