vendredi 4 mai 2007 par Fraternité Matin

Presqu'une semaine après le scrutin de dimanche dernier, la présidentielle malienne a accouché de ses résultats définitifs. Les partiels sont tombés au compte-gouttes. Pendant cette période, l'opposition, entretenant et amplifiant les rumeurs de fraude et de mascarade électorales, est sur le pied de guerre. Ses contestations et ses réclamations, pour obtenir l'annulation de l'élection, occupent désormais le devant de l'actualité. Dans le miroir du premier tour de la présidentielle française (22 avril dernier), de la campagne électorale en cours et du débat télévisé d'avant-hier entre les deux candidats du second tour, qui a lieu ce dimanche, il n'y a aucune honte à reconnaître qu'entre l'Occident et l'Afrique, c'est le jour et la nuit. Le retard qu'accuse, ici aussi, le berceau de l'humanité est grand. Immensément grand. Partout en Afrique, c'est toujours (ou presque) le même spectacle désolant de compétitions électorales qui tournent aux pugilats et aux affrontements: urnes détruites, bureaux de vote incendiés, campagnes électorales perturbées par des violences aveugles, etc.
Le continent africain fait piètre figure dès qu'il s'agit d'organiser des élections. Quelles qu'elles soient. Les rares pays qui pouvaient apparaître comme des modèles de démocratie ne font presque plus exception à la règle, réelle ou supposée, de manipulation des fichiers électoraux et des irrégularités. Depuis le début de l'année et avant le Mali, la présidentielle au Sénégal et au Nigeria a vécu la même atmosphère enfiévrée de remous et de dénonciations de scrutins non transparents. Après Me Abdoulaye Wade, dont la victoire n'a toujours pas été officiellement reconnue par ses opposants, c'est au tour d'Amadou Toumani Touré, déclaré hier vainqueur avec 68,31% des voix, d'être dans le collimateur de ses adversaires.
Deux types de problèmes plombent la vie politique africaine: la sévère crise de confiance et le refus systématique de la défaite. Les acteurs politiques se soupçonnent de coups fourrés et d'entourloupettes. De ce fait, il aurait été inimaginable en Afrique qu'un candidat déclaré ?Nicolas Sarkozy en l'occurrence- soit maintenu à la tête du ministère de l'Intérieur, maître d'?uvre des élections générales, et ne libère son poste qu'environ un mois avant le début du scrutin présidentiel. Cette situation, qui aurait été vite assimilée à la mise en ?uvre d'un hold-up électoral ou de la fameuse technologie électorale, aurait suscité une violente levée de boucliers et, peut-être même, le boycott du scrutin par certains candidats.
Mais, bien que dans nombre de pays africains, l'opposition ait réussi à obtenir la création de structures dites indépendantes (CENI au Mali ou CEI en Côte d'Ivoire) pour jouer le rôle dévolu au ministère de l'Intérieur dans l'organisation des élections générales, la confiance n'a encore jamais été restaurée sous nos cieux. Car, bien souvent, ce ne sont pas les compétences des animateurs de ces structures qui préoccupent les uns et les autres, mais bien leurs affinités politiques et leurs origines tribales ou ethniques.
C'est un véritable cercle vicieux, exacerbé par des faits incompréhensibles au 21ème siècle. Alors que deux heures suffisent en France pour que les résultats des scrutins soient connus, il faut des jours et des jours, voire des semaines en Afrique pour savoir qui est élu. Notre retard économique et notre sous-développement n'expliquent que très partiellement cet état de fait qui renforce la méfiance générale; surtout quand, comme au Mali ou en Côte d'Ivoire, les premiers résultats ne viennent presque jamais de la capitale politique mais de contrées lointaines. L'internet et la téléphonie mobile ont fait un tel bond en Afrique qu'ils devraient permettre d'éviter ces longues attentes qui entachent la crédibilité et la régularité des élections.
En outre, il n'y a jamais de perdant en Afrique. Puisque, c'est connu, personne ne veut reconnaître sa défaite. Tous les candidats et leurs partisans sont toujours convaincus qu'ils détiennent la majorité. Personne donc n'attend la proclamation officielle des résultats. En 2000, le général Guéi, président du Comité national de salut public (CNSP, junte militaire) a disqualifié la CENI et Guié Honoré, son président, et n'a pas hésité à proclamer sa victoire à la présidentielle. Si la rue était restée passive, il aurait tranquillement pris le pouvoir.

En toute ignorance des institutions de la République, le staff de Me Wade, au Sénégal, a, avant la lettre, déclaré son candidat vainqueur au soir du scrutin de février dernier. Cheick Tidiane Diakhaté, président de la Commission nationale de recensement des voix (CNRV), a confirmé ces tendances en annonçant un résultat de 55,86% en faveur du Pape du Sopi. Au Mali, alors que le dépouillement n'a concerné, au soir de mercredi, que 3,5 millions d'inscrits sur 6,9 millions d'électeurs, le camp présidentiel avait appelé les vaincus à reconnaître leur défaite. Hier, Boubacar Sow, directeur national de l'administration du territoire, l'a suivi.
C'est ce décor fait de pressions et d'intimidations et quelquefois de trafics d'influence qui est planté en Côte d'Ivoire. L'opposition, avec le soutien de certaines officines de propagande, se déclare (déjà) vainqueur de la prochaine présidentielle. Elle ne cesse donc de qualifier le Chef de l'Etat d'illégitime (le taux de participation au dernier scrutin n'aurait été, selon elle, que de 17%) et le parti qui l'a porté au pouvoir de minoritaire. Elle appuie son argumentaire sur ce qu'on appelle maintenant l'arithmétique électorale. C'est-à-dire le poids démographique ou numérique du groupe ethnique du candidat. Selon cette thèse simplette, si votre ethnie est minoritaire, comme celle de Laurent Gbagbo, vous ne pouvez être élu. Si, par contre, vous êtes Baoulé (ethnie de Bédié) ou Dioula (groupe de Ouattara), deux ensembles numériquement importants sur l'échiquier ivoirien, votre élection est assurée.
C'est en revendiquant cette théorie, moyenâgeuse et tribaliste, que Bédié et Ouattara, les deux poids lourds de l'opposition, contestent, encore aujourd'hui, l'élection du Chef de l'Etat. Ironie du sort: aucun des deux ne veut se désister au profit de son allié dans le cadre d'une candidature unique de l'opposition pourtant fortement réclamée par leurs partisans. Et comme le ridicule ne tue pas, l'un comme l'autre se déclare (déjà) élu. Et ce, dès le premier tour du scrutin, avec ? tenez-vous bien !- au moins 70% des suffrages exprimés.
De là à considérer que, sous nos cieux, la démocratie est un luxe pour nos peuples, il n'y a qu'un pas que Jacques Chirac s'est amusé à franchir. Allègrement. Tout au début de son septennat. Beaucoup plus à raison qu'à tort; il faut bien l'admettre. Car chaque jour, nos comportements et nos agissements accréditent, hélas!, ce propos à relent raciste.

Par
Ferro M. Bally

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