vendredi 4 mai 2007 par Le Front

La filière café-cacao est le pilier de l'économie ivoirienne. Cependant, sa gestion est sujette à de nombreuses critiques. Pour y voir clair, à la demande du gouvernement de Côte d'Ivoire, l'Union européenne à travers le Stabex 99/1, un rapport dudit secteur a été fait en 2006. Depuis quelques jours, la version française de cette étude diagnostic qui met à nu toutes les incongruités de ladite filière est disponible. Aujourd'hui, nous vous présentons les points saillants de ce rapport sur la Bourse café-cacao (BCC) dirigée par Lucien Tapé Doh.


Présentation de la Bcc
Cadre juridique


Les missions de la BCC

L'article 2 nouveau du décret 2001-667 du 24 octobre 2001 spécifie que la BCC : Centralise et coordonne les opérations d'exportation de l'ensemble de la filière cacao / café.
Exerce en outre toutes missions et attributions administratives et commerciales concernant des opérations d'achat ou d'exportation, qui ne relèvent pas de l'ARCC en charge de la régulation administrative ni du FRC en charge de la régulation financière.

Aux termes de l'article 3 du décret précité, la BCC a pour mission :
En liaison avec l'ARCC et le FRC, la mise en ?uvre d'un mécanisme de garantie d'un revenu minimal et d'un prix rémunérateur aux producteurs.
En liaison avec l'ARCC, la prévision des récoltes et la tenue des statistiques.
Conjointement avec le FRC, le suivi des stocks et des déclarations d'achat.
La promotion du label ivoire et des produits de la filière cacao et café sur le marché international, en liaison avec l'ARCC et le FRC.
Outre les missions que lui confère le décret 2001-667 du 24 octobre 2001 et qui s'articulent étroitement avec celles de l'ARCC et du FRC, puisqu'elles ne se conçoivent qu'en liaison ou conjointement avec ces structures, la BCC est chargé par son statut d'exercer les fonctions suivantes :
La signature des engagements d'exportation avec les exportateurs, conjointement avec le FRC.
L'établissement des barèmes indicatifs permettant de déterminer les prix aux producteurs conjointement avec le FRC.
La promotion des coopératives exportatrices et des petites et moyennes entreprises exportatrices (COOPEX et PMEX), en liaison avec le FRC.
La publication des prix aux producteurs.
La prise de participation dans toutes sociétés existantes ou à créer, ainsi que toutes opérations qui se rattachent aux missions précitées.
Les orientations et les actions définies dans le cadre des missions imparties à la BCC concernent :
L'amélioration du cadre de gestion et du suivi des opérations de commercialisation.
L'amélioration et la promotion de la qualité des produits commercialisés.
L'appui à la professionnalisation des COOPEX et PMEX.
La consolidation de l'interprofession.
Le renforcement du système de coordination statistique et d'information.
Le renforcement des capacités et du cadre de gestion interne.

ANALYSE DES MISSIONS

L'intervention dans les procédures d'exportation

a) Contrôles documentaires
La BCC est en charge de la mise en ?uvre des procédures d'achat et d'exportation. Elle effectue ces tâches en liaison avec l'ARCC et le FRC. Nous examinerons plus en détail le rôle de la BCC dans la procédure d'exportation, à l'occasion d'un chapitre spécifique. (voir aussi l'annexe Descriptions des procédures d'exportation .
Toutefois, on indiquera ci-après sur quelle base juridique la BCC intervient dans les procédures d'exportation, en assurant des fonctions régaliennes.
Aux termes de l'Ordonnance 2000-583, Toute exportation doit faire l'objet, préalablement à l'embarquement des produits, d'un enregistrement dont les modalités et procédures sont définies par décret (Article 10). Les modalités d'enregistrement ont été définies par le décret n° 99-42 du 20 janvier 1999, mais celui-ci indiquait à l'article 8 que l'enregistrement devait se faire auprès de la Nouvelle CAISTAB, qui n'existe plus aujourd'hui. Le décret 2001-667 du 24 octobre 2001 qui modifie le décret 2001- 465 du 25 Juillet 2001 fixant les missions et le cadre d'intervention de la BCC, a pallié ce problème en prévoyant que la BCC centralise et coordonne les opérations d'exportation de l'ensemble du cacao et du café. Elle exerce en outre, toutes missions et attributions administratives, commerciales des opérations d'achat et d'exportation qui ne relèvent pas de la compétence de l'ARCC et du FRC . Ceci est complété par le décret 2001-668 du 24 octobre 2001 fixant les missions et le cadre d'intervention du FRC qui stipule à l'article 3 que le FRC est chargé de la signature, conjointement avec la BCC, des engagements d'exportations avec les exportateurs .

b) Les procédures du contrôle de qualité.
La BCC intervient dans le contrôle de qualité de la façon suivante :
Contrôle de la tolérance sur la qualité effectué par l'ARCC et la BCC, portant sur le niveau de la tolérance de 10% et le retrait du hors normes.
Le premier contrôle au départ par les concessionnaires agréés.
Le second contrôle systématique à quai et à l'embarquement des produits par les agents BCC.
Le contrôle à quai, à l'inopiné par les agents de l'ARCC.
Ces activités de contrôle ne possèdent aucun fondement juridique, car les décrets 2001-
465 et 2001-667 fixant les missions de la BCC prévoient uniquement un rôle dans la promotion du label Ivoire. Ils ne prévoient pas un pouvoir régalien de contrôle de la qualité.

La gestion du mécanisme des revenus et des prix.
La BCC a reçu la mission de mettre en ?uvre un mécanisme de garantie d'un revenu minimal et d'un prix rémunérateur pour le producteur. Force est de constater que cela n'a pas été fait.

L'information sur les prix et les volumes d'exportation
L'audit des flux financiers conduit par le cabinet IDC (Rapport définitif, Sept. 2004, n°81 p 44) avait révélé des écarts très nets entre les tonnages d'exportation de cacao déclarés à la BCC et les tonnages enregistrés dans les statistiques des Douanes. Ce qui prouvait, sinon que des malversations avaient pu intervenir, du moins que la BCC ne parvenait pas à maîtriser la matière des déclarations de tonnage reçues, qui s'avéraient très inférieures à celles des Douanes.

COHERENCE DU CADRE JURIDIQUE

Des statuts illégaux
L'article 17 de l'ordonnance 2000-583 du 17 août 2000 définit la BCC comme un organisme privé, autonome et indépendant, constituée dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et en conformité avec les Actes Uniformes de l'OHADA 5.
Donc la BCC ne pouvait pas être un établissement public (EPA ou EPIC), ni une société d'Etat, mais devait se constituer sous forme de société commerciale ou de GIE, tels que définis par l'AUSCGIE de l'OHADA. On n'a trouvé aucune autre disposition législative ou réglementaire permettant de créer la BCC conformément à cet article 17
Le décret 2001-465 du 25 juillet 2001, modifié par le décret 2001-667 du 27 octobre
2001, fixe les missions et le cadre d'intervention de la BCC, il ne crée pas la BCC. Ce décret stipule que La BCC est un organe privé, de type particulier , (Voir nos observations infra sur cette notion juridiquement très contestable de société ou d'organe
5 On peut relever une contradiction dans l'expression autonome et indépendant car ces deux qualités sont exclusives l'une de l'autre. Un organe, comme une république, est autonome ou indépendant, mais pas les deux à la fois de type particulier ). Néanmoins, on notera que ce décret définit l'objet de la BCC et comporte des indications contraignantes sur son organisation interne et sur son financement. Ainsi, il introduit d'emblée une ambivalence sur le caractère public ou privé de cet organisme, ainsi qu'une contradiction avec le principe de son indépendance vis-à-vis de l'Etat, posé par l'ordonnance.
La BCC est créée par ses statuts. Ce sont ces statuts qui contreviennent à la loi car ils ne précisent pas à quelle catégorie de société (ou GIE) appartient la BCC, parmi celles prévus par l'AUSCGIE. C'est ici le problème majeur, qui sera développé aux 2 points suivants.
Les conséquences sont considérables car lorsque des institutions fonctionnent sans base légale, tous leurs actes et décisions peuvent être mis en cause et s'exposent même à être déclarés nuls

L'emploi des ressources de la BCC

Aux termes de l'article 8 nouveau des statuts, le financement de la structure est assuré par des dons, legs, emprunts et prêts ou toutes autres ressources, qui peuvent lui être affectées, conformément aux textes en vigueur. Mais il est avant tout assuré par la redevance fixée à l'article 4 du décret 2001-668 du 24 octobre 2001.
Perçue, comme les autres redevances des structures de la filière, au titre des prestations qu'elles fournissent, la redevance affectée à la BCC a été fixée à 4,67 francs CFA/Kg par l'arrêté ministériel 480 du 30 novembre 2004, qui établit le niveau des redevances pour le premier trimestre de la campagne 2004/2005. Comme celui de l'ARCC et du FRC, son budget s'élabore et s'exécute, au regard des prélèvements alloués sur redevances de l'Etat, beaucoup plus qu'en fonction des besoins effectifs, qu'exigent ses missions. Le montant des ressources disponibles se révèle le plus souvent excédentaire par rapport aux tâches à remplir. En ce sens le rapport d'audit des flux financiers, du cabinet IDC, page 49 n° 90, qui avec les réserves d'usage sur les difficultés d'avoir lui aussi les informations, tout en retenant des charges n'ayant aucun rapport avec l'activité de la structure, retient pour la BCC, au 31 déc. 2002, un excédent minimum de 4, 513 milliards de FCFA et ajoute qu'en outre le niveau des charges peut être fortement réduit. Il en conclut que les taux de redevance peuvent être abaissés au profit d'une augmentation du prix bord champ. Ce qui conduit parfois à engager des dépenses contestables ou superflues, notamment en matière d'études sur les questions les plus diverses et parfois les plus étrangères à l'objet social de la BCC, ainsi que le montre l'audit des flux financiers (Rapport IDC du 3 septembre 2004 page 48) qui évalue à 44 % les dépenses afférentes à des opérations extérieures aux missions dévolues à la BCC.
Bien entendu, la preuve de l'abus de biens sociaux relève du juge d'instruction qui seul a autorité pour se faire communiquer les pièces probantes permettant d'établir le délit. Mais les éléments résultant de l'audit financier permettent déjà au Procureur de la République s'il l'estime opportun (principe d'appréciation de l'opportunité des poursuites) de demander la saisine d'un juge d'instruction. Des victimes (les producteurs représentés au sein d l'AG de la BCC) peuvent se constituer partie civile. Par ailleurs, il rentre dans les attributions du commissaire du gouvernement d'intervenir en cas d'infraction et de saisir le gouvernement pour action. En outre et surtout, le commissaire aux comptes et son suppléant aux termes des articles 40 à 45 des statuts auraient dû exercer ses différents obligations de contrôle et de mise en garde de l'assemblée générale. Il en est de même de ses obligations légales au titre des article 710 et suivant de l'AUSCGIE. De plus, il aurait dû aux termes de l'article 716 du même Acte uniforme révéler au ministère public les faits délictueux dont il a eu connaissance à défaut de quoi il est passible des sanctions pénales prévues par le droit ivoirien en vertu de l'article 899 de l'Acte uniforme.
L'article 39 nouveau Résultat- Affectation précise que les résultats nets de l'exercice clos le 31 décembre sont affectés et représentés, comme suit :
Il est prélevé 10% au moins et 20% au plus sur les excédents, après déduction des pertes antérieures éventuelles pour constituer des réserves statutaires.

Le solde, après constitution de ces réserves, peut-être reporté à nouveau ou faire l'objet des affectations décidées par l'Assemblée Générale. Une distribution de résultats excédentaires à quelque personne que ce soit ne saurait être admise.
Il reste que le financement de la BCC, est essentiellement assuré sur des fonds de redevances, qui, en profitant à une personne morale de droit privé, ne perdent pas leur caractère de deniers publics justifiables d'un contrôle de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême. Celui-ci se superposerait au contrôle du commissaire aux comptes, mais sans faire double emploi. Autant par les modalités de la mise en place de son capital social que par son financement sur ressources publiques affectées, la position juridique de la BCC se révèle contraire au droit des sociétés commerciales de l'OHADA, sans pour autant être conforme à un droit public interne, à la rigueur duquel elle prétend échapper.

3.5 CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

On note :
Le statut de la BCC, qui se fonde sur des atteintes fondamentales au droit, et la prive de base légale
Le faux semblant de la notion utilisée de personne morale de droit prive de
type particulier .et la confusion suscitée et entretenue entre cette notion de société de type particulier d'une part, et le régime particulier reconnu
par l'OHADA, d'autre part.
Le rattachement de la BCC à un type de société inconnu de l'AUSCGIE
(OHADA) et du droit ivoirien
Que la BCC n'a pas la forme d'une société permise par l'AUSCGIE
L'absence de base légale d'un virtuel régime particulier de la BCC en
l'absence de dispositions législatives fondant les dérogations aux règles de
l'OHADA
L'illicéité de la création de régimes particuliers après l'entrée en vigueur de
l'AUSCGIE.
Un embrouillamini de fonctions de nature régalienne et de nature commerciale, à l'origine de cette structure sans fondement légal.
Que l'absence de base légale de la BCC pourrait ne pas être sans conséquence en termes de responsabilité de l'Etat et de dirigeants de la filière
Des dispositions réglementaires ou statutaires qui ne sont pas conformes au droit OHADA, à coté de dérogations qui seraient permises par un régime particulier
La non-conformité à l'Acte Uniforme d'articles statutaires déterminants de la
BCC, s'agissant de.
L'emploi des ressources de la BCC.
L'abus de biens sociaux, autorisé par des statuts illégaux.
L'emploi des ressources de la BCC et leur régime financier.
La mise en place d'un Conseil de Surveillance.
L'existence d'un Commissaire du Gouvernement.
Les autres dérogations illicites, qu'elles soient réglementaires et statutaires,
de la BCC à l'Acte Uniforme.
La Conformité résiduelle de certains articles des statuts de la BCC à l'Acte
Uniforme.
Une innovation étonnante : la privatisation de fonctions de régulation et la
cession de services publics
Mais aussi, l'existence d'un besoin évident en matière de promotion du
secteur et d'information des opérateurs, qui peut légitimer l'existence d'une structure interprofessionnelle assurant ces fonctions, en les regroupant avec
celles exercées par d'autres structures afin d'économiser les moyens et limiter les prélèvements sur le secteur.
En conclusion, le plus pertinent serait de mettre la forme actuelle de la BCC en
liquidation, et de répartir ses missions entre une association interprofessionnelle d'une part et une administration ou un établissement public d'autre part. Pour les tâches régaliennes, il ne serait pas nécessaire de créer une nouvelle institution. Le plus pertinent serait de renforcer ou simplement de reconnaître le rôle des Douanes en matière de contrôle des exportations.



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