jeudi 3 mai 2007 par L'intelligent d'Abidjan

Manu Dibango continue de célébrer ses 50 ans de musique. Le dinosaure de la musique africaine qui était en concert à Abidjan, récemment avec les Go du Kotéba, a été reçu à déjeuner par Ben Soumahoro. Nous avons profité de cette occasion pour arracher des mots au 1er patron de l`orchestre de la Rti. Entretien.

Voici plus de 30 ans que Manu Dibango a quitté la Côte d`Ivoire. Quels sentiments avec les retrouvailles ?
La Côte d`Ivoire avec Manu, c`est une histoire assez particulière. Il y a beaucoup de gens qui sont passés ici et pour des raisons diverses. En fait moi, la Côte d`Ivoire je l`ai connue quand j`étais encore au lycée en France dans les années 50. Elle n`existait pas en tant que telle, elle était encore colonie française comme le Cameroun. Et mes meilleurs amis c`étaient des Ivoiriens. C`est comme ça j`ai pu venir ici au mois d`août 1960 où j`ai été le premier avec l`orchestre le Cocobrico à jouer la première indépendance, c`était le 4 août 1960. Donc forcement, l'homme qui était ici en 1960, ce n`est pas le mec qui arrive ici des années plus tard. Déjà, il y a un rapport qui existe. Est-ce que j`ai quitté la Côte d`Ivoire. Je l`ai quittée physiquement mais pas mentalement parce que je suis toujours au fait de ce qui se passe ici. Le métier que je fais, je parcours le monde.

Est-ce que vous êtes resté en contact avec l`orchestre de la Rti que vous avez dirigé ?
Ah, non, je n`avais pas de détails. Mais, la valeur de cet orchestre précisément, il y a une trentaine d`années, des gens comme Ben Soumahoro, Houphouët Boigny, avaient une autre idée de la culture, c`est-à-dire les meilleurs Africains à leurs postes, venir former quelque chose, peu importe l`origine pourvu qu`ils amènent quelque chose de valable et de constructif. C`est cet esprit qui a fait que je suis venu ici et c`est un phénomène qu`on ne trouve nulle part en Afrique. Et je ne vois pas au Cameroun, un non-camerounais s`occuper, soit d`une télévision, soit d`un orchestre. Je ne le vois même pas au Benin, nulle part, même au Sénégal. C`est assez particulier, les problèmes de la Côte d`Ivoire sont effectivement particuliers. De la manière dont vous abordez les problèmes concernant la crise ivoirienne, dans l`immédiat nous on regarde parce que c`est unique en Afrique.

Comment vous arrivez, malgré l`âge, à forcer le respect et à vous maintenir à un niveau assez élevé. Quel est votre secret ?
Ecoutez, chacun a son karma dans la vie. Il se trouve que moi j`ai un don pour la musique et je réponds sur le plan de la santé. Il y a de bons artistes qui sont maladifs, qui ne peuvent pas bouger. C`est une série de circonstances qui font que ça peut créer un Manu quelque part. Je n`ai pas quelque chose de spécial. A mon avis, je me suis contenté de faire ce que j`ai à faire. Et ce que j`aime faire, c`est la musique. Il n`y a pas de secret spécial. Il faut être là au bon moment tout simplement. (...) Je ne fais pas de frasques. Je suis démocrate. Je laisse les gens avec leur scandale.

Est-ce qu`il y a des artistes ici qui arrivent à forcer votre admiration ?
Bien sûr. Il y a un mois, j`ai fait venir la petite Manou Galo qui peut être ma fille sinon ma petite fille. C`est une des plus douées à l`heure actuelle et je suis content parce que tout le monde lui court après. Mais, je l`avais découverte avant parce qu`elle avait fait l`école de Wêrè Wêrê Liking ; ce sont là des gens qui ont fait des écoles de spectacles avec une ténacité, une énergie incroyable dans un pays qui n`est pas leur pays d`origine. Donc, je ne suis pas seul à être passé en Côte d`Ivoire et avoir marqué certaines générations. Je sais que beaucoup ont souffert. Moi-même, j`ai souffert aussi. Une carrière n`est pas dessinée comme ça. Il faut passer par beaucoup d`épreuves. Il y a beaucoup de choses qui arrivent dans ce métier. Vous vous faites escroquer parce que vous ne savez pas comment ça marche. Des accidents dans l`avion, moi j`en ai eu deux. Je m`en suis sorti. Mais, il y a aussi des choses que je n`ai pas réussies.

Est-ce que vous avez des projets pour l`avenir ?
Avant de venir ici, j`étais à Ouagadougou pour le Fespaco. Avant le Fespaco, j`ai fait l`Italie. Je continue cet été, où j`ai beaucoup de concerts. Pour ma carrière à moi, j`ai toujours des projets et plein de trucs à faire.

Y-a-t-il un pays que vous avez voulu découvrir et y faire des concerts ?
Oui, j`ai toujours voulu découvrir Cuba. J`ai travaillé avec beaucoup de musiciens cubains, mais je n`ai jamais mis les pieds à Cuba. C`est un pays qui m`intéressait, parce que culturellement, il est très en avance.

Ne pensez-vous pas à créer une école de formation en Afrique ?
J`ai une école et c`est mon orchestre. C`est une école qui ne dit pas son nom, parce que les gens, je les forme et je les expose. Je vous donne l`exemple de Pascal Lokua Kanza. Il était choriste chez moi et à chaque fois qu`on était en tournée, il prenait la guitare et il jouait et il chante. Et je lui ai dit, avec ce talent, au lieu d`être choriste, fais la première partie. Je croyais qu`il était doué et avec plus de chance, ça lui a réussi. Avant lui, il y en a d`autres. Les frères Saba Deco, De Paul Saïmon qui est maintenant un meilleur bassiste à Paris, il y a un autre qui est producteur à Los Angeles. Quand ils partent avec le succès, ils m`envoient d`autres personnes. Donc c`est une école. Il y a des musiciens chez moi mais que je n`engage pas. Mais, ils ont le devoir de former d`autres pour que la place soit toujours occupée. Or, je constate que ma vraie fortune depuis 50 ans, c`est ceux que je fais travailler à longueur d`année, les techniciens, les musiciens, l`agence, donc quelque part j`agis à la tête d`une PME. Beaucoup d`artistes musiciens passent chez moi.

Si un jeune veut faire carrière dans la musique quels conseils pouvez-vous lui donner ?
Le premier conseil, c`est qu`il se rende compte qu`il a un don pour la musique parce qu`il y a des moments où beaucoup ne se rendent pas compte qu`ils ont un penchant sans le savoir. Le deuxième, c`est qu`il faut apprendre. Il faut apprendre les fondamentaux d`un métier quel qu`il soit. Il faut savoir exactement qu`il faut être également très travailleur et surtout très humble, parce qu`il y a eu des artistes avant et il y en aura après.

Envisagez-vous, 50 ans après, de faire la promotion des instruments africains ?
J`ai beaucoup d`amour pour la musique mais je ne peux mettre des instruments dans ma musique comme ça quand ils renvoient des images. Quand j'étais en Côte d'Ivoire, un musicien malien m'a séduit. Il m'a positivement violé. C'est à partir de là que je me suis intéressé à la musique mandigue.

Qu`en est-il exactement de l`histoire avec Michaël Jackson ?
Cette histoire a été réglée depuis 1986. La preuve, je suis venu ici en vacances et à cette époque, ma femme était encore en vie. Il a aimé ma chanson et j`en suis fière, parce que Michaël est un grand artiste. Mais, il n`a pas été correct. Il a mis de côté le mot éthique. Et tout le problème est là. Ceci étant, c`est quand même une première dans l`histoire de la musique. Si Michaël a pris cette chanson, c`est qu`il a du l`écouter. Et d`ailleurs, le makossa n`est pas spécialement une musique américaine.

Entretien réalisé par Aké Laurent Okoué
Coll : DK et MTT
(Photo : David Karidioula)

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