mardi 24 avril 2007 par L'intelligent d'Abidjan

Dans le climat d'euphorie qui règne actuellement en Côte-d'Ivoire, la visite des patrons français à Abidjan n'est pas passée inaperçue. Dirigée par le PDG de l'assureur Gras-Savoye, Patrick Lucas, une délégation du Medef a été reçue, la semaine dernière, par le président Laurent Gbagbo, puis par son nouveau Premier ministre, l'ex-rebelle Guillaume Soro. La presse locale a immédiatement salué le grand "retour" des opérateurs économiques français. En novembre 2004, les affrontements entre la force Licorne et les militaires ivoiriens, avaient été suivis par l'exode de milliers de Français attaqués par les "jeunes patriotes" proches du chef de l'Etat.

Flotte aérienne. En réalité, la délégation du Medef n'a fait qu'une courte escale de courtoisie en Côte-d'Ivoire, l'ancien fleuron de la France en Afrique, avant de s'envoler vers le Liberia voisin, où tout est à reconstruire. Car même au plus fort des troubles antifrançais, les grands groupes hexagonaux n'ont jamais déserté le territoire ivoirien. "Certains ont réduit le volume de leurs activités en attendant des jours meilleurs. Partir, c'était prendre le risque de perdre un investissement de plusieurs années en temps et en hommes", explique un entrepreneur de la place. Il faut être prêt le jour où la Côte-d'Ivoire, l'ex-locomotive économique de la région Ouest africaine, sera en mesure de repartir de l'avant.
A l'automne, Bouygues, qui contrôle la distribution de l'eau et de l'électricité, a obtenu le renouvellement de ses concessions par l'Etat ivoirien. Bolloré, dont le vice-président, Michel Roussin, était présent au sein de la délégation du Medef à Abidjan, détient toujours le monopole des activités de manutention sur le port de la ville, ainsi que la seule ligne de chemin de fer qui relie la capitale économique ivoirienne à Ouagadougou (Burkina Faso). Total contrôle une bonne partie de la distribution d'essence à Abidjan. Les secteurs de la banque, de l'assurance, de l'hôtellerie restent l'apanage des groupes français... Au total, plus de 300 entreprises françaises ou dirigées par des Français sont encore actives en Côte-d'Ivoire.

En revanche, les PME, dont le nombre élevé constituait l'une des spécificités du tissu socio-économique ivoirien avant novembre 2004, ne sont pas revenues. Les petits patrons qui ont tout perdu n'ont toujours pas touché un centime. Le président Gbagbo a récemment indiqué à des parlementaires français qu'ils seraient dédommagés à condition que Paris lui rembourse d'abord sa flotte aérienne militaire détruite par Licorne...

Bakchich. A Abidjan, Patrick Lucas a évoqué "les problèmes d'environnement judiciaire" en Côte-d'Ivoire. Une allusion sans doute à la mésaventure de deux responsables français de la société Trafigura, en cause dans l'affaire des déchets toxiques d'Abidjan. Ils ont été emprisonnés sans autre forme de procès durant plusieurs mois, le temps que le transporteur accepte de verser les réparations financières exigées par le régime du président Gbagbo : 100 milliards de francs CFA. A ce jour, aucun responsable ivoirien n'a été inquiété par la justice locale.
A Abidjan, certains entrepreneurs se plaignent enfin des tracasseries administratives dont ils seraient victimes de la part d'un Etat à la fois prédateur et en état de déliquescence avancé. Les sociétés hexagonales éprouvent les pires difficultés à se voir rembourser la TVA. Sans parler des bakchichs qu'il leur faut verser à toute une série d'intermédiaires pour poursuivre leurs activités. Un exportateur de grumes confie ainsi : "Pour acheminer le bois jusqu'au port d'Abidjan, nous sommes obligés de graisser la patte de tous ceux qui possèdent un tampon dans la région". Apparemment, jusqu'à aujourd'hui, cela vaut encore le coût.

Par Thomas HOFNUNG
QUOTIDIEN : lundi 23 avril 2007
Abidjan envoyé spécial

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