mardi 17 avril 2007 par Le Patriote

Dans une dizaine de jours, la quinzième édition de Jazz à Ouaga va ouvrir ses portes. A quel stade des préparatifs êtes-vous ?
Nous sommes actuellement au stade des derniers réglages. Le gros du boulot est fait (la programmation, les réservations d'hôtels, de billets d'avion, la campagne de communication,).
Mais l'un des gros soucis est la mobilisation des financements. Nous nous y attèlerons jusqu'à la dernière minute en essayant de rallier le maximum de sponsors, afin que la fête soit belle. En tout cas, tout est fin prêt pour ce grand rendez-vous musical.
Quelles seront cette année les grandes innovations du festival?
Le défi de Jazz à Ouaga est de faire chaque année, un peu plus, car nous savons les mélomanes du jazz de plus en plus exigeants.
Pour l'édition 2007, nous prévoyons d'abord une programmation éclectique prenant en compte toutes les variantes du jazz, avec un clin d'?il aux groupes africains. Ensuite, nous programmerons un nouveau genre de diffusion du jazz, le jazz-poésie faite d'une déclamation de poèmes sur les conditions de vie des esclaves noirs, créateurs de cette musique, sur fond de musique jazzy (un genre qui commence à s'imposer dans les grands clubs de jazz). Nous ferons aussi un clin d'?il à l'humour, lors des concerts. Le rire n'est-t-il pas à la fois un désintoxiquant physique et un dépolluant psychique !! Nous avons donc convié le célèbre ?'faiseur'' de rire ivoirien, Maréchal Zongo qui sera le MC de tous les spectacles. En début des concerts et lors des entractes, il ?'foutra'' le feu du rire dans le c?ur des spectateurs. Nous envisageons également une décentralisation maximale du festival. Depuis quelques années déjà, Jazz à Ouaga s'est étendu à Bobo-Dioulasso, 2ème ville du Burkina. Cette année, nous ambitionnons conquérir 4 autres villes (Ouahigouya, Koudougou, Loumbila et Ziniaré) dans un concept que nous avons appelé Jazz-Caravane/ La musique au c?ur du Burkina afin d'amener cette musique dans des contrées qui n'ont pas souvent l'habitude de voir un concert professionnel. L'événement va s'articuler autour du thème, " rôle et place du jazz dans le dialogue des cultures". Pourquoi ?
Vous savez que notre monde d'aujourd'hui où la guerre fait encore rage dans plusieurs endroits et où le terrorisme donne naissance au concept de guerre globale, la question de la possibilité d'un dialogue interculturel se pose avec acuité. Dans cette globalisation généralisée, plusieurs concepts, tendant à uniformiser les cultures, voient de plus en plus jour. On parle même de ?'marchandisation'' et de ?'standardisation'' de la culture. Ce qui semble à nos yeux, très dangereux. Nous pensons à Jazz à Ouaga que, chaque culture puise à ses propres racines, mais ne s'épanouit qu'au contact des autres cultures. C'est pourquoi pour cette 15ème Edition, nous avons diversifié les genres musicaux par une programmation riche et variée. Nous avons invité des ensembles multiformes et nous allons organiser des activités d'échange, de partage et de brassage de sorte à démontrer que la musique en général et le Jazz en particulier peuvent être de puissants vecteurs de cohésion et peuvent jouer un rôle important dans le dialogue des cultures, gage d'un monde de paix et de justice. Le festival, il est vrai, a vu défiler en quinze ans plusieurs grosses têtes du jazz et de la musique en général. Mais, quel est son impact réel sur l'évolution du jazz au Burkina ?
La plupart des groupes de tendance ?'jazzy'' de la scène burkinabé d'aujourd'hui sont nés dans le sillage de Jazz à Ouaga. En marge de chaque festival, nous organisons des workshop de musique. Nous profitons de la présence de ces musiciens de renom pour amener les musiciens burkinabé à confronter leurs expériences, d'aller à l'école du donner et du recevoir. Cela renforce énormément leurs pratiques musicales.
Nous avons aussi facilité la participation de groupes burkinabé à d'autres festivals. Aussi, nous constatons que la culture ?'jazzistique'' du public a connu un bond qualitatif. A titre d'exemples, il y a quelques années, le play-back était un phénomène, je dirai quasi normal dans le milieu du show-biz. Aujourd'hui, la majorité des artistes burkinabé s'est mise au live, car c'est la condition sine qua non pour espérer jouer à Jazz à Ouaga. L'un dans l'autre, nous pouvons dire que bon an, mal an, Jazz à Ouaga a contribué un temps soit peu à la professionnalisation des artistes. Combien va coûter l'édition de cette année ?
Le festival Jazz à Ouaga est devenue une grosse machine qui nécessite une mobilisation optimale de moyens tant financier, logistique et humain. S'il nous est difficile de quantifier tout ça, je peux vous dire que le festival 2007 coûtera la bagatelle de 86.000.000 fcfa, le tout reparti en numéraires et en échanges-marchandises sous forme de sponsoring. C'est en tout cas, une trentaine de partenaires institutionnels et du privé, nationaux et internationaux qui nous accompagnent dans cette ?'aventure'' et je tiens à les remercier, au nom de Jazz à Ouaga pour cette marque de confiance. Qu'ils trouvent ici, l'expression de notre profonde gratitude. Quels sont les grands souvenirs du festival durant ces quinze dernières années ?
Les souvenirs, il y en a beaucoup Personnellement, l'un des plus significatifs restera ce concert du jazzman américain Alvin Queen, lors de l'édition 1994. Je me souviens qu'à l'époque, je résidais dans un village à 100 km de Ouagadougou ; tous les soirs après le boulot, j'enfourchais ma mobylette pour venir suivre les concerts de Jazz à Ouaga et y retourner au petit matin; et ce jour là, des ennuis mécaniques ont failli me faire rater le concert ; j'y suis arrivé juste au moment où ça commençait, fatigué Alvin fut tellement magistral ce jour là que j'oubliais tous mes ennuis. Y a eu aussi le concert du regretté Ali Farka Touré en 2001 ; c'était la 1ère fois que je voyais un guitariste avec autant de génie ; je me souviens que j'en ai pleuré de bonheur. Plus récemment, il y eu la rencontre historique des 2 grands guitaristes Ali et Sékou Bembeya Diabaté du Bembeya Jazz, lors de Jazz à Ouaga 2005 ; ce fut anthologique ! En général, chaque édition connaît des moments inoubliables qu'il serait difficile d'évoquer dans une interview. Après quinze éditions, quels seront les prochains défis de Jazz à Ouaga ?
Nous ambitionnons de devenir l'un des plus grands festivals de musique du continent. Pour cela, nous allons privilégier les partenariats d'avec d'autres manifestations culturelles afin d'ouvrir davantage les horizons. Nous constatons qu'il n'y a pas beaucoup de passerelles entre opérateurs culturels de la sous-région. Notre prochain défi est la prospection de ce côté. Il y aussi l'Afrique du Sud, puissance musicale, mais méconnue des publics africains. Nous allons tenter de corriger cela en ouvrant des brèches culturelles avec tous ces pays africains, car il est impensable et même impardonnable que ce black-out perdure. Nous allons nous y atteler dans le futur, car c'est cela même l'essence de notre combat, une Afrique culturelle qui gagne.

Y.Sangaré

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