mercredi 28 mars 2007 par Le Nouveau Réveil

Bonjour cher ami Charles,
Pour nécessité de service, j'ai dû me faire violence pour reporter mon retour au pays prévu en principe pour avant-hier lundi à une date ultérieure mais très très proche. Tout est presque terminé ici, mais c'est aussi le moment de parlementer avec les uns et les autres pour savoir les vraies motivations de ce dialogue direct de Ouagadougou. Pourquoi presque 5 ans après la guerre, après le massacre des populations et après presque 5 ans de souffrance du peuple ivoirien, c'est maintenant que les belligérants décident de s'entendre ? Que cache véritablement cet accord et surtout la nomination très accélérée de Soro Kigbafori Guillaume comme premier ministre sans aucune contestation, ni désapprobation des jeunes "patriotes" et des femmes "patriotes" du FPI jadis prêts à prendre la rue en guise de protestation, à tout casser ou à braiser, à tuer leurs semblables qui ont tout simplement tort de ne pas penser comme eux ? C'est plutôt, ces "patriotes" et leur mentor qui sont si euphoriques après la signature mardi à 17h ici à Ouaga de l'accord complémentaire et les procédures de désignation de M. Soro Guillaume comme nouveau premier ministre de la république de Côte d'Ivoire issu cette fois ci, officiellement de l'opposition du G7. Cette euphorie excessive, voire débordante du camp présidentiel est bien curieuse et me rend à la fois perplexe et très inquiet. Le camp Gbagbo crie victoire pratiquement. Pour la simple signature d'un accord de paix, la énième ou parce qu'il est sûr de réaliser désormais un noir dessein qu'il pourrait nous faire découvrir un peu plus tard ? Je m'interroge et avec moi des milliers de compatriotes et des milliers d'observateurs. Le camp Soro est aussi tout heureux. Il se réjouit d'avoir atteint cet objectif qu'il n'a pas pu atteindre en 2005 : faire de M. Soro Kigbafori, le premier ministre de Côte d'Ivoire. Depuis cette date, d'ailleurs, la méfiance et le clash politique se sont installés entre l'opposition armée qu'incarnent les Forces nouvelles de Soro Guillaume et l'opposition politique d'Abidjan qu'incarnent les partis politiques comme le PDCI-RDA, le RDR, l'UDPCI, le MFA avec bien sûr chacun sa manière habile ou même suspecte de dire "non", de s'opposer à cette nomination de Soro Guillaume. Bref, ce que les Forces nouvelles n'ont pu obtenir il y a 2 ans, elles viennent de l'obtenir ici à Ouaga. Que se passera-t-il désormais ? Peut-on espérer voir la Côte d'Ivoire sortir de cette crise qui n'a que trop duré avec ses conséquences sociales, économiques, matérielles, humaines et politiques incommensurables et bien tristes ? Seul, je dis bien seul, sans être pessimiste, l'avenir nous le dira.
Cher ami Charles,
Le dialogue direct de Ouagadougou pour moi n'a pas encore livré tous ses secrets. On en saura plus, plus tard. On saura plus sur les "termes ou propos" menaçants et de mise en garde que les premiers envoyés du RHDP (Mady pour le PDCI-RDA et Ouattara pour le RDR) ont reçus, pas de n'importe qui, mais du facilitateur. Qui, dit-on, leur aurait demandé de rester tranquilles dans leur petit coin et de ne point gêner le dialogue direct en laissant les discussions se poursuivre et se terminer par un "accord de paix" que tous doivent accepter. A part quelques interviews bien futées et quelques déclarations prudentes à la presse, le RHDP, après la mission de Ouaga, n'a pour la première fois pas pris de position unanime et claire comme il en avait l'habitude. Ce silence n'est pas signe d'approbation de ce qui leur avait été dit ici et que beaucoup de personnes savent désormais, ce n'est pas non plus signe de démission, mais plutôt celui de l'impuissance face à deux belligérants bien armés et au facilitateur considéré à tort ou à raison comme le tuteur de l'ex-rébellion armée. La menace de la force des armes a contraint le PDCI RDA du président Bédié et le RDR du président Alassane Dramane Ouattara à avaler la couleuvre, à accepter de se soumettre de force à la volonté de Blaise Compaoré et de ses deux groupes hôtes, notamment, le camp présidentiel représenté par Désiré Tagro et le camp des Forces nouvelles représenté par Louis Dakoury Tabley. Tu le sais autant que moi, quelques jours seulement après le voyage infructueux de Ouaga, et dans cette période de turbulence et de grandes décisions politiques à prendre au niveau de chaque parti et surtout dans cette période de mutation politique, le président du RDR s'est presque "mis en congé politique" et séjourne à Paris. Le président Bédié, s'il n'est pas absent du pays, est, lui, à Daoukro, chez lui. Mady, le président du directoire du RHDP et du G7 est devenu lui aussi peu bavard sauf à l'occasion de "L'invité de la rédaction de "Le Nouveau Réveil" ou en marchant quelque peu sur les ?ufs, il a, avec courage, dit quelques vérités aux Forces nouvelles et a soutenu avec force arguments les réserves émises par le président Bédié sur l'accord de Ouaga. A mon avis, les militants de ces partis et le peuple de Côte d'Ivoire doivent être indulgents aujourd'hui vis-à-vis de ces leaders politiques. Qui ont des raisons secrètes d'accepter ce qui se passe sous leurs yeux. Ils ne ressemblent pas et n'ont jamais été des "béni oui, oui". Il faut pousser la réflexion loin et très loin pour comprendre leur passivité à ce dialogue direct de Ouaga et à cet accord de paix qui leur est imposée. Il faut, comme eux, accepter la paix de ces deux braves bien armés. Et tous, nous dirons demain "Alléluia" si la paix vient effectivement de Ouagadougou.
Cher ami Charles,
Le vin est tiré. Il faut le boire. Toutefois, je voudrais partager avec toi ce bout de phrase prononcé par un ami mien ici à Ouagadougou au cours d'un entretien que nous avons eu. Un entretien vraiment amical. "Soro doit être considéré et vu désormais comme le faiseur de roi". Là-dessus, on peut disserter à satiété. Littérairement et philosophiquement. Mais en prenant un raccourci politique, le nouveau premier ministre qui aura des pouvoirs régaliens et surtout une délégation de pouvoirs qu'il exige déjà avant tout, Soro Guillaume qui n'est pas candidat pour l'instant à la prochaine élection présidentielle peut être effectivement considéré comme faiseur de roi. D'abord parce qu'il a dit que c'est lui et presque lui seul qui formera son gouvernement. Bien sûr, il prendra contact avec des partis politiques (pas tous en tout cas) mais la décision lui reviendra. Il exigera tout du chef de l'Etat "simple avis". Les portefeuilles à distribuer et les nouveaux ministres à nommer ou ceux qui seront reconduits ne seront que des rois faits et voulus par M. Soro Kigbafori Guillaume. Aussi est-il important d'indiquer dans la formation de son cabinet, qu'il sera le seul à distribuer des rôles aux uns et aux autres. La nomination de ses collaborateurs est de toute évidence de sa responsabilité. Il n'a pas d'ordre à recevoir de qui que ce soit. Et tous ceux qui le pratiquent et le connaissent bien depuis quelques années parlent de son intransigeance sur ces questions. Mais, le grand et l'important roi que Soro fera, c'est le futur Président de la République de Côte d'Ivoire. Ça peut ne pas reposer sur une logique politique rationnelle, mais c'est pourtant la vérité. Sans vouloir lui coller l'étiquette de manipulateur ou de dictateur, il est bien clair (et là il n'y a pas de débat) que c'est Soro Guillaume, Premier ministre non candidat qui organisera les élections. L'identification, le DDR, c'est lui qui les mènera à terme. C'est lui qui supervisera toutes les activités de la CEI. L'armée sera sous son contrôle. C'est lui qui autorisera ayons le courage de le dire la proclamation des résultats. Grosso modo, la bonne tenue des prochaines élections dépend du bon vouloir de M. Soro. Et il n'est ni exagéré, ni méchant de dire que tous ceux qui n'entreront pas dans le schéma de Soro, tous ceux qui l'empêcheront de tourner en rond, tous ceux qui refuseront de composer avec lui seront considérés comme "morts politiquement". Il aura tous les pouvoirs de les écraser politiquement. Le pouvoir exécutif peut revenir au G7 (à l'opposition) ou au camp présidentiel, tout dépendra de la forme de collaboration que chacun développera avec le nouveau locataire de la Primature. Apparemment, premier ministre pas comme Seydou Diarra encore moins comme Charles Konan Banny puisqu'il a, lui, une armée derrière lui. D'abord, les FAFN et demain les FANCI. Soro Guillaume, nouveau faiseur de roi ? Plus qu'une question, c'est un nouveau fait politique auquel il faut s'adapter. C'est une réalité implacable.
Cher ami Charles,
En attendant de te retrouver au pays d'ici jeudi, je voudrais pour conclure ce courrier du jour te dire de ne pas trop t'inquiéter pour ma sécurité ici. Je suis en "prudencia". En dehors de Ouaga 2000 et de l'hôtel où je réside, je n'ai aucune activité. Je suis presqu'un casanier. Ici, comme tu me l'as bien dit, on ne sait pas qui est qui ! A Ouaga, tous les coups sont permis. Et j'en suis très conscient. Par la grâce de Dieu, je te retrouverai très très bientôt intact, tel que je t'ai quitté sur la pointe des pieds vendredi matin. Enfin, ce n'est pas non plus sans amertume que j'ai appris par toi mardi le message à la nation, message courageux et émouvant d'au revoir du Premier ministre sortant Charles Konan Banny. Ton homonyme Charles doit s'armer de courage. La vie ne s'arrête pas là. Il a du coffre matériel, humain, financier et un peu politique. Il lui appartient de s'organiser pour rebondirdemain sans vengeance, mais comme savent bien le faire les grands hommes politiques qu'on pousse à partir même quand leur départ ne se justifie pas. A demain si Dieu le veut.
Par Denis Kah Zion à Ouaga

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