vendredi 18 décembre 2009 par Nord-Sud

La direction nationale de campagne du candidat de Laurent Gbagbo est active. Fort active même. Trop, peut-être. En effet, si tout le monde reconnaît au Dr Issa-Malick Coulibaly, un certain entregent et un sens inné du contact humain, quelques unes de ses initiatives sont à double détente. Tel est le cas de ses déclarations en direction des Imams. Il est loisible qu'un candidat s'adresse aux guides religieux pour bénéficier de leurs conseils, leurs bénédictions, voire leurs prières. Mais en revanche les impliquer directement dans la campagne en leur disant : je vous confie la candidature de Laurent Gbagbo et d'ajouter qu'il a besoin du soutien des musulmanes et des musulmans , nous paraît assez risqué. Et même de préciser, via son porte-parole du jour : Si Gbagbo est élu grâce à nous les musulmans, ce sera un honneur pour nous . En cette délicate période de sortie de crise, il est plus qu'impératif d'éviter de mêler le fait politique au sentiment religieux. En effet, et même si cela apparaît très peu dans les médias, la plupart des conflits aujourd'hui en Afrique ont un triple caractère : ils sont politiques, ethniques et religieux. On ne peut pas analyser les crises de l'Afrique subsaharienne si l'on ne tient pas compte de l'enchevêtrement de ces trois éléments. A ses débuts, la crise ivoirienne a été présentée, par la presse occidentale, comme un affrontement entre le nord musulman et le sud chrétien. On y lisait que c'était une bagarre entre Gbagbo, le sudiste chrétien et Alassane Ouattara, le nordiste musulman. Puis Guillaume Soro, chrétien catholique, est apparu, revendiquant la paternité de la rébellion. Les arguments se sont alors effondrés comme château de cartes. Mais ailleurs, l'enchevêtrement entre religion et politique a fait beaucoup de dégâts humains.
C'est le cas au Soudan, entre le nord musulman et le sud chrétien. Même dans ce cadre-là, il faut distinguer les conflits du sud Soudan qui opposaient Islam, Chrétienté et animisme, de celui du Darfour qui est un conflit plus politico-économique (présence de pétrole) que religieux, même si les tendances religieuses servent de prétextes.
C'est également le cas à Madagascar où, au-delà des problèmes politiques et des difficultés économiques mis en avant par chaque camp, le conflit politique actuel est d'origine religieuse. Il oppose Marc Ravalomanana, le président renvoyé, homme d'affaires proche des milieux évangélistes américains et membre de l'Eglise de Jésus Christ à Madagascar à Andry Rajoelina, chef d'entreprise, catholique pratiquant, et proche de la France.
Au Nigeria, les liens sanguinolents entre politique et religion nous interpellent chaque jour. Il y a dans cet Etat fédéral, un conflit endémique entre musulmans et chrétiens. Conflits auxquels il convient d'ajouter les incidents constants entre les tribus du sud, incidents se déroulant très souvent sur fond de divergences religieuse entre les chrétiens, les christo-animistes (mixage de la chrétienté et des religions africaines) et les animistes.
Dans la corne de l'Afrique, se situe un gisement de conflits qui se structurent autour de l'Ethiopie. Ce pays entretient un différend sanglant avec l'Erythrée, son voisin. La géopolitique a son mot à dire dans cette crise, mais il ne faut pas non plus occulter le fait religieux. Face à l'Erythrée majoritairement musulmane, l'Ethiopie abrite depuis des siècles une communauté judéo-chrétienne, les falashas d'une part et les orthodoxes éthiopiens de l'autre.

Les réligieux ivoiriens dans la danse

Il y a également la Somalie. La quasi-totalité de la population est musulmane et la charia est appliquée. Mais ces musulmans sont divisés en trois groupes. Un petit groupe, en Somalie du nord, ex-britannique, est marqué par le soufisme et pratique donc un islam modéré et mystique. La majorité des musulmans somaliens est d'obédience wahabite et une forte minorité salafiste qui tente d'imposer sa loi à la Somalie toute entière à travers ce qu'ils ont appelé les tribunaux islamiques . C'est donc un conflit entre musulmans.
Il y a d'autres zones de conflit avec un soubassement religieux latent : la Guinée-Conakry où, pour la première fois depuis l'indépendance, un chef d'Etat chrétien (Dadis Camara) accède au pouvoir et s'estime combattu, entre autres raisons, pour sa foi chrétienne, la RDC etc. En Côte d'Ivoire, certains religieux ont fait irruption sur la scène politique en prenant résolument position. C'est le cas du père Marius Dayoro Boileau, qui prenant position pour le candidat du Pdci-Rda, s'est violemment attaqué à Laurent Gbagbo dans une lettre ouverte publiée dans Le Nouveau Réveil . Comme avant lui, était coutumier du fait l'abbé James Wadja. C'est aussi le cas du pasteur Koré Moïse qui, non content de soutenir politiquement Laurent Gbagbo, déclare sa fierté d'être compté parmi ceux qui l'aident à acheter des armes. Le prophète Benoit Agbaossi, en visite officielle en Côte d'Ivoire, a publiquement appelé les chrétiens célestes à voter pour Gbagbo. Toujours pour le compte de Laurent Gbagbo, l'on a vu des religieux comme El hadj Légré Yaya, créer une association des musulmans convertis pour Gbagbo. Au nom du fait qu'ils sont bétés et qu'ils sont frères avec l'actuel chef de l'Etat. On ne compte plus les Harissou Fofana, Bakary Chérif et autres religieux qui n'ont guère caché leur attirance politique. Il faut, pensons-nous arrêter d'attirer les religieux dans la sphère politique, pendant qu'il est encore temps. La politique et la religion n'ont jamais fait bon ménage. Le bon sens commande de poser des actes et de laisser les gens juger et se décider, en fonction de leur sincérité ou de leur reconnaissance.

Touré Moussa

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