lundi 5 octobre 2009 par Le Nouveau Réveil

En dépit de manoeuvres de diversions plus ou moins grossières, l'instruction progresse. Et l'étau se resserre sur l'appareil sécuritaire de la présidence ivoirienne.
Le marathon de "l'affaire Kieffer" toucherait-il à sa fin? Tout porte à le croire. A commencer par la cascade de coups de théâtre récents, entre vrais aveux, écrans de fumée et douteuses diversions. Qu'elle carbure à l'intox ou pas, la machine s'emballe...
Mercredi soir, le procureur d'Abidjan Raymond Tchimou, cité par l'Agence France-Presse, émet des doutes quant au décès du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, disparu le 16 avril 2004. "On ne cherche plus un homme mort, hasarde le magistrat, mais quelqu'un qui a été exfiltré de la Côte d'Ivoire et qui vit actuellement."
Bizarrement, la dépêche de l'AFP tombe moins d'une heure après la diffusion, dans le 19/20 de France 3, d'extraits du témoignage crucial d'Alain Gossé, un ex-sergent-chef de l'armée ivoirienne, recueilli par le reporter Joseph Tual et rendu public par la même chaîne dès le 22 juillet.
Le sous-officier, affecté au "service logistique de la présidence" à l'époque des faits, affirme avoir conversé brièvement avec "GAK", alors détenu dans une cellule située au sous-sol du palais présidentiel. Il indique aussi que le journaliste, qui enquêtait notamment sur la corruption au sein de la filière café-cacao, a été transféré le 19 avril dans un village proche d'Abidjan, où il aurait été tué par balle accidentellement, lors d'un interrogatoire musclé. "Une bavure", soutient Gossé.
Comme l'a révélé L'Express du 26 août, ce sergent-chef a livré six jours plus tôt un récit détaillé au juge d'instruction français Patrick Ramaël, à la faveur d'une audition organisée au Bénin. Récit qui corrobore et complète la version confiée en 2007 au même Joseph Tual (France 3) par Berté Seydou, le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, chef présumé du commando soupçonné d'avoir perpétré l'enlèvement.
Pourquoi inculper deux Français?
Autant dire que les "révélations" du juge Tchimou, qui s'efforce depuis plusieurs mois d'accréditer la thèse d'une "piste hexagonale", au point d'avoir inculpé en août deux citoyens français, n'ébranlent nullement Bernard Kieffer, le frère de Guy-André, ni son avocat.
"Nous voyons là le reflet d'un affolement, indiquait ce matin Me Alexis Gublin. Comme si les autorités ivoiriennes, sans doute conscientes que l'on est très proche de la vérité, faisaient feu de tout bois. De deux choses l'une: ou elles détiennent des preuves, et elles les produisent ; ou elles n'en détiennent pas. Dans ce cas, il est inacceptable au regard de la famille de laisser planer un tel espoir."
De fait, il faudra bien a minima que Raymond Tchimou élucide ce paradoxe: pourquoi inculper deux Français pour "complicité d'arrestation arbitraire, enlèvement et séquestration" -et projeter d'en incriminer plusieurs autres- si Guy-André Kieffer coule incognito des jours tranquilles dans une mystérieuse retraite?
Le "scoop" du juge abidjanais appelle une autre remarque: jusqu'alors, celui-ci s'employait, tout comme le procureur militaire Ange Kessi ou Me Rodrigue Dadjé, avocat de Simone Gbagbo -l'épouse du chef de l'Etat-, à discréditer Alain Gossé, relégué au rang d'imposteur burkinabé.

"Parlons d'un disparu,
pas d'un mort"
Or, Tchimou se borne désormais à dénoncer un témoignage qui "n'apporte rien de nouveau à notre dossier très épais" et "vise à amuser la galerie". Il est vrai qu'entre-temps, France 3 a produit à l'écran des documents, dont une carte d'identité ivoirienne, attestant la nationalité et le statut militaire de l'intéressé. Reste que le juge Tchimou, déçu d'une mission infructueuse conduite à Paris en août -toujours la fameuse "piste française"-, aurait l'intention de rééditer la tentative au cours de ce mois d'octobre. Afin d'inculper entre autres Berté Seydou pour "faux témoignage" et... Bernard Kieffer pour "complicité de faux témoignage et subornation de témoin". Projet dévoilé le 24 septembre, au prix d'une insolite confusion des genres, non par le magistrat lui-même, mais par le conseil de Simone Gbagbo. Le scénario, hélas chimérique, d'un "GAK" rescapé, a déjà beaucoup servi. La "Première dame" récuse ainsi l'assassinat. En avril dernier, lorsque le juge Ramaël l'interroge à Abidjan, que lui objecte-t-elle? Ceci: "Pourquoi me parlez-vous d'un mort? Rien ne prouve qu'il le soit. Parlons d'un disparu, pas d'un mort."
Autre argument invoqué: l'absence de cadavre à ce stade. Pour autant, la vieille martingale -"Pas de corps, donc pas de meurtre; pas de meurtre, donc pas d'affaire"- demeure aléatoire. D'autant que les juges d'instruction Patrick Ramaël et Nicolas Blot n'ont pas renoncé à localiser la dépouille.

Nicolas Sarkozy
et la vérité
"Côté français, souligne Bernard Kieffer, l'enquête n'a jamais cessé d'avancer". Exact. Mais sans doute se heurte-t-elle encore, entre autres, à un écueil de nature politique. Le témoignage d'Alain Gossé tend à dédouaner le président ivoirien et son épouse de toute responsabilité, au moins directe. "Mme Gbagbo n'est pas trop impliquée", avance l'ancien sergent-chef, avant de pointer l'index sur "son cabinet" et "sa garde rapprochée". Allusion transparente à Anselme Seka Yapo, chef de la garde rapprochée de "Simone", et à Patrick Bahi, réputé proche de "Laurent". Pour solder la douloureuse énigme, Laurent Gbagbo devra bien "sacrifier" l'un ou l'autre membre de l'entourage présidentiel, pivot de l'appareil sécuritaire ou conseiller d'un ministre naguère influent. Est-il disposé à payer un tel prix, à quelques mois d'une échéance présidentielle incertaine? Mystère. Une certitude: Nicolas Sarkozy a clairement signifié à la famille du disparu qu'il n'y aurait pas de normalisation pleine et entière entre Paris et Abidjan avant qu'éclate la vérité. Tôt ou tard, elle éclatera. Assez tôt, selon toute vraisemblance. Et l'impact de la déflagration fera vaciller plus d'un personnage supposé intouchable.
Vincent Hugeux, in l'Express (01/10/2009)

NB: Le titre et le surtitre sont de la rédaction


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