mercredi 28 mai 2008 par Le Temps

En cette période de paix, la ville de Duékoué est devenue la plaque tournante de tous les vices. Zoom sur une ville où le respect de la pudeur est banni de tous les langages. Située à 484 km d'Abidjan, la ville de Duékoué est un carrefour où se croisent plusieurs modes de vie. Au plus fort de la crise militaro politique, même si elle n'a pas été le théâtre d'affrontement entre forces loyalistes et rebelles, certains de ses quartiers comme Guitrozon et petit- Duékoué ont fait l'objet d'incursions meurtrières. En cette période où il est de plus en plus question d'accalmie, certains vices tels, l'insécurité, la consommation de la drogue, l'alcool et le sexe y prospèrent.
Insécurité
Carrefour stratégique de toutes les grandes régions de l'Ouest, Duékoué est par excellence le creuset du grand banditisme. Il ne se passe plus de jour sans que l'on y signale des cas de vol, viol ou tout autres agressions à main armée. Tous les témoignages sont formels sur la question. Moussa Doumbia, vendeur ambulant de pagne ne peut pas contenir sa colère face à cette montée vertigineuse de l'insécurité dans la région. " J'ai l'impression que les populations vivant dans cette zone sont abandonnées à elles-mêmes. Les coupeurs de route et autres tueurs sévissent impunément ici à Duékoué. Dans la ville, ça va un peu. Mais au-delà, c'est la mort qui attend toute personne qui s'aventure sur les routes ". Mlle Sandrine Tahou, revendeuse de viandes boucanées, raconte son calvaire sur l'axe Duékoué- Bangolo. "L'insécurité est une réalité dans cette région. En ville, la chose n'est pas trop perceptible. Mais aller au-delà de 15 km, c'est prendre rendez-vous avec la mort. La semaine dernière, alors que mes camardes et moi, nous nous rendions dans le Zou pour acheter de la viande, nous sommes tombés sur une bande de coupeurs de route. Ils étaient au nombre de 4 personnes. Pendant que les deux premiers surveillaient l'entrée de la piste où ils nous ont conduit, les deux autres, à l'aide des armes pointées sur nos tempes, ont commencé à nous fouiller. Ils nous ont fait subir toutes sortes d'humiliations. J'en garde encore les séquelles puisque je continue de saigner. Dans le véhicule qui nous transportait, il y avait un vieux burkinabé, le seul garçon parmi nous. Les coupeurs de routes lui ont demandé de l'argent et quand il leur a dit qu'il n'en avait pas, ils l'ont abattu ". L'axe Duékoué- Bangolo qui ne cesse d'enregistrer des victimes au fil des semaines porte désormais le nom de " couloir de la mort ". Qu'est-ce qui explique cette situation dans ce département ? Les réponses divergent. Traoré Bakary, mécanicien, estime que les armes qui circulent dans la région appartiennent aux éléments des comités d'autodéfense communément appelés milices. " Les armes qui circulent dans cette zone et que les coupeurs de routes utilisent pour tuer les pauvres citoyens, appartiennent aux miliciens. Ceux d'entre eux qui ne peuvent pas aller sur les routes pour des raisons de convenance personnelle, mettent leurs armes à la disposition de certains de leurs frères pour sévir". Quant à G.Ernest, il pense que l'insécurité est le fait de certains éléments des forces nouvelles qui sont à la recherche de pitance quotidienne. "Je pense que ce sont les rebelles qui nous créent des problèmes. N'ayant plus rien à manger dans leurs zones respectives, ils font irruption dans la région de Duékoué pour agresser et se faire un peu de sous ". Des éléments des FDS qui ont requis l'anonymat se sont également prononcés sur la question. Pour eux, ce sont des actes isolés parce que la sécurité à l'intérieur de la ville est sous contrôle. Mais sur les routes comme les patrouilles ont diminué, les coupeurs de routes refont surface. Selon eux, leurs patrons sont à pied d'?uvre pour faire face à la situation en vue de ramener la sérénité au sein de la population. Consommation abusive de la drogue
A Duékoué, il n'existe pas que le problème des coupeurs de route comme fléau. La drogue y est consommée à grande échelle. Selon les témoignages, le quartier Belleville et certains endroits de Duékoué Centre sont les lieux privilégiés des consommateurs du Chanvre Indien. M.B.A, Instituteur et habitant le quartier de belle ville ne cache pas son désarroi. " Je vis ici depuis plus de cinq ans. Donc, je connais un peu ce qui se passe quant à la consommation de la drogue par des jeunes. C'est une réalité. Mais comme ce milieu est assez dangereux, personne n'ose faire des dénonciations pour préserver sa vie. Sinon, on voit beaucoup de choses ". Pourquoi les jeunes se livrent-ils à cette consommation de la drogue, l'on accuse la pauvreté des parents et la guerre.
Alcool
A l'instar des autres villes de Côte d'Ivoire, la ville de Duékoué n'échappe pas au phénomène de l'alcool. Comme Yopougon, la ville a sa rue " princesse " qui regorge de Maquis qui n'ont rien à envier à ceux d'Abidjan ou des grandes villes de l'intérieur. A partir de 19 heures, cette rue est prise d'assaut par les noctambules. Filles et garçons se bousculent pour avoir de la place. Bières, vins, Guinness et autres boissons alcoolisées coulent à flots. Les adeptes de ces lieux pensent que ce n'est pas mauvais de fréquenter ces Maquis. M.P.D, enseignant dans la ville, témoigne. " On ne peut pas reprocher à quelqu'un de fréquenter ces lieux. Ce sont des coins où on vient pour se distraire et tuer un peu le stress du travail qui nous envahit chaque jour que Dieu fait. Seulement, il ne faut pas en abuser pour oublier les problèmes de la maison ". Pour M.Téhé Jean, les Maquis concourent au développement de la ville de Duékoué. Il estime que l'on doit encourager leur prolifération pour donner à la ville, les allures de Yamoussoukro. " Si vous voyez que Yamoussoukro est aujourd'hui, au-dessus des autres villes, en matière d'animation, ce n'est pas parce qu'il y a de belles maisons. Mais c'est parce que en tant que ville carrefour, il y a eu une véritable politique de construction de lieux de divertissement, en l'occurrence les maquis. Tous ceux qui transitent par là mangent forcément quelque chose avant de continuer leur chemin. Duékoué est également une ville carrefour. Pourquoi ne pas y développer cette activité commerciale assez rentable ? " Sexe et VIH-SIDA
Le plus vieux métier est aussi pratiqué à Duékoué. Des filles dont l'âge varie entre 15 et 35 ans et plus s'adonnent à la prostitution. Sans pitié, elles se disputent le marché sans aucune autre forme de pudeur. Pourquoi ont-elles choisi ce métier là où elles peuvent faire autre chose pour gagner honnêtement leur vie ? Mlle B.H, rencontrée dans le Maquis là-bas estime que la pauvreté engendrée par la guerre est la principale cause de cette prostitution galopante. "On ne naît pas prostituée. Ce sont les circonstances qui obligent une fille à ces genres de choses. Dans les villes environnantes il y a eu la guerre. Ce qui a contraint les populations à fuir les zones de combats. Ceux qui n'ont pas pu fuir et qui n'ont pas eu assez de chance ont été tués. La plupart des filles qui pratiquent ce métier sont celle qui ont perdu leurs parents dans ces circonstances. N'ayant plus de moyen pour subvenir à leur besoin, elles ont choisi ce métier. Tel est mon cas. Après la mort de mon père, je suis aujourd'hui en face d'une responsabilité qui m'oblige à faire face aux problèmes scolaires de mes petits frères. D'où ma présence sur ce lieu où vous m'avez trouvé". Quant à Sandrine.K, élève dans un collège de la place, elle dit qu'elle mesure l'ampleur de la situation, mais elle n'y peut rien compte tenu du fait qu'elle n'a plus de parent vivant. " Pour moi, la situation est dramatique ". (Elle fond en sanglot) avant de poursuivre. " Si mon père vivait, vous ne me verrez jamais ici. Il est mort et je n'ai aucun soutien. Et pourtant, je suis condamné à réussir. Mais où trouver les moyens ? Sinon, je mesure les conséquences. Parfois, tu ne connais pas quelqu'un et tu es obligé de coucher avec lui. C'est difficile, mais que peut-on faire ? " La conséquence de cette dépravation à ciel ouvert, le règne du VIH-SIDA. Selon un médecin exerçant au CHR de Duékoué, le taux de prévalence dans la région est très élevé par rapport aux autres villes de Côte d'Ivoire. A l'en croire, la moyenne est telle que 8 filles sur 10 sont séropositives. Toutes choses qui lui ont fait dire que c'est un drame social auquel l'Etat doit urgemment faire face. Qui peut sauver Duékoué ? Est-on tenté de s'interroger au regard de ce qui précède.

Pierre Legrand
legrand07539420@yahoo.fr
(Envoyé spécial à Duékoué)

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023