vendredi 23 novembre 2007 par Le Nouveau Réveil

Août 2006, la Côte d'Ivoire vit un drame. Des déchets toxiques ont été nuitamment déversés dans de nombreux quartiers d'Abidjan. Des dizaines de personnes meurent et une centaine d'autres sont contaminées. Plus d'un an après ces évènements, Me Kossougro Emile, avocat défenseur de la Côte d'Ivoire dans l'affaire des déchets toxiques, rompt le silence. Il dit où se situe l'enquête et révèle les dangers qui guettent les Ivoiriens dans 5 ou 10 ans.
Quels sont les cabinets d'avocats qui ont été désignés pour défendre la Côte d'Ivoire dans l'affaire des déchets toxiques ?
Nous avons été constitués le 11 septembre 2006 pour représenter l'Etat en défense, en demande et en transjugé pour le compte de l'Etat de Côte d'Ivoire. Donc nous représentons tous les ministères quel que soit le problème l'Etat de Côte d'Ivoire () Nous avons été constitués donc le 11 septembre soit trois (3) semaines après les évènements. Nous avons eu beaucoup de réunions, des séances préparatoires. Il y a comme cabinet d'Avocat, le cabinet Kossougro, le cabinet SCPA (Société civile professionnelle d'Avocat), Ahoussou-Konan et associés, représenté au cours des différentes réunions par Me Kacou Alain, le cabinet SCPA Kacou et Doumbia et le cabinet John Day qui se trouve au Faubour Saint Laurin de Paris. Dans ce cabinet, il y a au bas mot entre 100 et 150 avocats (). Donc, c'est nous. Nous avons eu plusieurs séances de travail avant même que Mme Safiatou Ba N' Daw ne soit chargée, au niveau de la Primature, de ce dossier ()
Avec autant de cabinets, on peut dire que c'était un dossier très important aux yeux du chef de l'Etat ?
Il y avait autant de cabinets parce que le chef de l'Etat avait estimé que le dossier était important, très important. Vous avez vu que dans l'histoire de la Côte d'Ivoire, jeune nation, un tel évènement, une telle catastrophe ne s'était jamais produite. Elle a entraîné mort d'hommes, démission du gouvernement, la population dans les rues et sans oublier les intoxiqués. Il y a eu plus de 100.000 intoxiqués. Et le Premier ministre Banny a été obligé de déposer sa démission. Et par la suite, tout ce qui concerne l'environnement est l'affaire de la communauté internationale. Donc il fallait circonscrire le travail. Nous, au niveau des cabinets ivoiriens, spécialistes de l'environnement que nous sommes, nous nous suffisions, mais pour que nous ayons un relais au niveau de l'Europe, le Premier ministre avait estimé qu'il fallait qu'on ajoute des cabinets étrangers. C'est ainsi que le cabinet John Day a été ajouté à nous et un autre cabinet a été ajouté à nous. Ceci étant, nous nous sommes mis au travail. Quelles sont les différentes missions que vous avez effectuées par rapport à cette affaire ?
Le 11 octobre, nous avons été saisis, constitué régulièrement par un courrier du Président de la République (NDLR : il montre la lettre), la lettre dit d'ailleurs, "Me Kossongo, j'ai l'honneur de venir par la présente vous constituer dans l'affaire ministère public et Etat de Côte d'Ivoire contre () tous ceux qui ont trempé dans cette catastrophe de dépôt, de déversement des déchets toxiques sur le territoire et le district d'Abidjan". Le 03 octobre, le Président de la République nous a mis en mission (NDLR : il montre tous les papiers). Notre mission consistait à représenter la Côte d'Ivoire () à assurer la défense des intérêts (). Il y avait dans cette mission, le procureur de la République, Tchimou Raymond, son excellence M. Hoya Claude qui est diplomate, chef de cabinet à l'époque du ministre des Affaires étrangères, il l'est toujours. Il y a eu également, son excellence Kouassi Hyacinthe Marcel, Ambassadeur de Côte d'Ivoire en France, Blé Antoine qui est magistrat, président du tribunal de 1ère instance d'Abidjan, Roba Daléba, procureur de la République de Yopougon, Soro Drissa qui est le doyen des juges d'instruction () qui avait le dossier en charge. Il y a M. Ange Kessi, commissaire de gouvernement, Mme Kaba Nacéré, directrice des politiques environnementales et de la coopération au ministère de l'environnement et des Eaux et forêts. Comme membres de la délégation, nous avons également M. Bah qui est le commissaire divisionnaire, sous-directeur des affaires criminelles à la police judiciaire et nous avons Me Kossougro, avocat à la Cour, conseil de l'Etat de Côte d'Ivoire. Voilà ceux qui ont été envoyé dès le 03 octobre en Estonie. Il n'y a pas de représentation diplomatique d'Estonie en Côte d'Ivoire, () et c'est à l'aéroport d'Estonie pendant que nous étions assis que le ministère des Affaires étrangères a envoyé un diplomate qui a rencontré l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France M. Hyacinthe Kouassi. Et c'est au niveau de la douane et de la police aéroportuaires qu'on nous a délivré le visa et nous sommes rentrés. Dans la même matinée, nous avons eu des séances de travail avec le ministre de la Justice et la police, genre Interpol d'Estonie. Et l'après-midi, nous avons eu également une grande séance de travail avec le ministère des Affaires étrangères. Puisque le bateau Probo-Koala était bloqué au port d'Estonie. () Mais avant notre départ, j'ai déjà obtenu rapidement la décision de saisie conservatoire de ce bateau, du blocage des comptes des dirigeants du Probo-Koala et de Trafigura, du commandant du navire et de tous les démembrements du Probo-Koala. Mais, il avait déjà quitté le port. Il fallait justifier aux yeux de la communauté internationale que la Côte d'Ivoire avait toute raison de faire bloquer ce bateau parce que l'Estonie n'avait aucune raison de bloquer ce bateau. Comment le bateau a-t-il quitté le port d'Abidjan ?
Dès que l'évènement a été su, que la ville était en ébullition, le bateau est parti. Le directeur général du CIAPOL, M. Doh André, a pris toutes les dispositions ; il a même obtenu une réquisition. Il a tout mis en ?uvre pour que ce bateau-là ne quitte pas le port. Mais comme l'affaire allait passer en jugement, il y avait quelques autorités portuaires qui ont fait un peu de zèle et le bateau est parti. Pendant que le directeur général du CIAPOL faisait des diligences et qu'il est parti voir le directeur général de la douane et tout pour lui faire croire que, de toutes les façons, le bateau a déjà quitté. On s'est retrouvé devant un vide. Peut-on savoir les noms des responsables du Port qui ont fait en sorte que le bateau quitte Abidjan ?
Non, parce que l'affaire est en instruction. Il y a le secret d'instruction. Quand ça sera jugé et que vous revenez, je vais vous livrer le dossier entièrement. Mais comme l'aspect pénal n'est pas encore terminé, l'instruction est terminée, mais on n'a pas encore jugé, il reste à fixer la date. Le procureur de la République général avec qui j'ai eu une séance de travail il n'y a pas longtemps, attend de fixer la date de l'audience dans un trimestre à peu près. En tout cas, n'eussent été les évènements de fin d'année, ça aurait passé en jugement parce que tout le monde est pressé. C'est comme ça que le bateau a quitté Abidjan pour être bloqué en Estonie. Conformément à la convention de Bale, la loi internationale qui réglemente les activités intra frontalières des bateaux des déchets, dès qu'un Etat a connaissance de l'existence de déchets toxiques à bord d'un navire, cet Etat doit avertir tous les autres Etats pour que l'on prenne les dispositions qu'il faut. Et çà, la Hollande ne l'a pas fait. Le bateau est passé dans les eaux de l'Estonie aussi. Il y a eu quelques dégâts donc, l'Estonie aussi guettait ce bateau. Mais dans l'ignorance, il ne pouvait que passer par-là pour finir, parce qu'au moment où nous parlons, il était déjà très loin. Il n'était même pas dans les ports africains, il était déjà parti. Et donc, grâce à la vigilance des gardes côtiers d'Estonie, on a pu mettre la main sur ce bateau.
Qu'est-ce qui s'est passé en Estonie après votre arrivée là-bas ?
Nous sommes allés en Estonie et nous avons eu une longue séance de travail et ensuite avec la police portuaire, maritime d'Estonie, nous sommes allés au Port de Tabisti où le bateau a été bloqué. Et les Estoniens nous ont donnés tout ce qu'il faut comme moyens de déplacement, mais ils ont refusé qu'on monte sur le bateau. Mais sur le bateau, c'est bien marqué "attention danger de mort" en gros caractères, en lettres rouges. Une grande pancarte qui va d'un point à l'autre du bateau : attention danger de mort avec un crâne traversé par le dessin des os humains. De l'Estonie, quelle a été votre prochaine destination ?
De l'Estonie, on est rentré en Côte d'Ivoire, on a rendu compte. Quand on a rendu compte, c'est maintenant même que l'enquête avait commencé. Et le 02 novembre, la présidence nous a encore envoyés en mission à Amsterdam en Hollande juste après que nous sommes rentrés des 15 jours de mission en Estonie. Là, le travail a été encore plus approfondi parce qu'il y a ce qu'on appelle "l'Institut international de lutte contre les déchets toxiques et les armes bactériologiques ou armes chimiques". Et il y a un Ivoirien qui est là-bas comme expert. Nous avons eu une longue séance de travail avec eux. Vous ont-il situés sur la gravité des effets des déchets toxiques ?
Ils nous ont situés sur la gravité des effets et des conséquences du déversement des déchets toxiques. Autrement dit, il y a certains experts non africains qui nous ont dit que par rapport au rapport que nous avons, qui était déjà fait par certains spécialistes de la communauté internationale, il se pourrait que le déchets toxiques déversés en Côte d'Ivoire aient les mêmes conséquences que Tchernobyl et d'ici 5 ans, 10 ans, nous allons commencer à sentir les effets. Il va avoir des enfants qui vont naître mal formés. Ils y a des personnes qui sont déjà là dont les rates vont prendre du volume, le poids, la respiration et tout et tout. Et qu'il fallait prendre ce problème au sérieux. Donc d'Amsterdam, nous sommes allés à la Haye et nous sommes revenus en France où nous avons eu une séance de travail avec les représentants de Greepeace qui est une ONG de lutte pour l'assainissement de l'environnement. Et nous avions donné une conférence de presse en Estonie en direct avec la presse internationale. J'étais à Paris avec l'ambassadeur et le procureur de Yopougon sans oublier le président du tribunal () Nous sommes rentrés au pays et le 24 novembre, après 10 jours de mission, le chef de l'Etat nous a envoyés encore au Kenya.
Pourquoi un pays africain cette fois ?
Au Kenya, il y a ce qu'on appelle le fonds des Nations unies pour l'environnement et le secrétariat des Etats membres qu'on appelle le secrétariat des Nations unies pour l'environnement. Tous les Etats membres de la convention de Bale tiennent leur assemblée générale une fois par an dans un Etat qu'ils désignent et c'était le tour du Kenya. Nous sommes allés et nous avons participé activement à cette assemblée. Mais je vous assure que tout était polarisé sur la Côte d'Ivoire. Nous étions devenus même les principaux animateurs du sommet () Au bout de 12 jours, on a fini et nous sommes rentrés en Côte d'Ivoire. Deux semaines après, le chef de l'Etat nous a encore envoyés à Genève où il y a également un fonds des Nations unies pour l'environnement. Nous avons été encadrés par l'ambassadeur Alain Gauze () Mais avant cela, nous avions déjà assigné le commandant du navire. Nous avions assigné Trafigura et ses représentants et nous avions assigné au moins une dizaine de personnes. Nous avons ici (NDLR : il montre un document) une décision provisoire pour légaliser la saisie conservatoire du bateau, le blocage des comptes bancaires et la saisie en bien de tous ceux qui étaient trempés dans le déversement des déchets toxiques en Côte d'Ivoire. Là, nous sommes en janvier. Justement en janvier, il y a eu une transaction entre la Présidence et Trafigura
Après notre retour de Genève, nous avons été encore en mission à Paris. Pour avoir une grande séance de travail avec les avocats européens () Nous sommes revenus fin janvier 2007 et on nous a approchés avec une transaction. On en a fait part un peu au Président de la République. Il dit qu'il est au courant. Mais que si la transaction doit intervenir, il faut d'abord que le jugement pénal soit fait () Mais quand le dialogue direct est intervenu, la transaction est intervenue, on n'était plus au courant. Aucun avocat qui a travaillé depuis n'a été informé. Le fait que moi j'ai été au courant ne suffit pas parce que si je l'ai su c'est qu'on me l'a dit et qu'on ne l'a pas dit officiellement aux confrères. Donc moi, j'attendais un écrit et puis à notre grande surprise, on nous a invités à la signature. Etiez-vous quand même d'accord avec le contenu des négociations ?
Ce qui est sûr, tel que les négociations étaient avancées, si nous nous avions été au centre () pour ce qu'on avait sous la main, au plus bas mot, on aurait eu 250 milliards sinon on serait entre 300 et 350 milliards pour la Côte d'Ivoire sans compter les honoraires des Avocats que Trafigura allait encore payer. Et la Côte d'Ivoire n'aurait à sortir aucun sou () Le président a décidé, le ministre est parti. Ils se sont arrêtés à 100 milliards. Quand on a annoncé dans les journaux 100 milliards, nous-mêmes, on riait ()
Cette transaction est-elle encore attaquable devant les tribunaux ?
Les victimes qui prennent leur part actuellement ne peuvent plus attaquer cette transaction devant les tribunaux. Parce qu'il y a ce qu'on appelle l'instinction des actions par transaction voie de règlement à l'amiable () L'Etat a transigé pour des considérations que seul le politique et la politique peuvent déterminer () Mais il y a des victimes qui n'ont pas pris cette voie de transaction par l'Etat, qui ont saisi le cabinet John Day de Paris et qui sont en train d'engager un procès contre Trafigura et certainement contre la Côte d'Ivoire ()
Pouvez-vous nous dire deux mots sur la libération des responsables de Trafigura qui avaient été incarcérés ?
Trafigura a été pressé de payer () avant que certaines dispositions ne soient prises, ces responsables étaient déjà sortis de prison () le président leur a accordé la mise en liberté provisoire mais cela n'éteint pas l'action pénale. Donc l'action pénale suit son cours et nous pouvons passer en jugement () Quant à la société Tommy, elle est fictive. Elle a été créée lors de l'arrivée des déchets toxiques. Donc il y a eu préméditation.
Les déchets toxiques peuvent-ils encore avoir des effets sur les populations ? Est-ce rétroactif ?
C'est de l'air. C'est du poison, c'est du poison lent, à long terme. Dès l'instant que vous avez le corps qui est infecté, vous ne mourrez pas d'un coup. Mais ceux qui ont été gravement intoxiqués sont décédés. Mais ceux qui ont été un peu intoxiqués, c'est comme de l'acide () ça continue dans votre corps. Vous ne savez même pas. C'est comme les rayons X. Quand l'individu est infecté et qu'il fait commerce sexuel avec sa femme () il peut avoir des réactions sur l'enfant qui est conçu () Dans 5, 10 ans, il peut avoir des conséquences dramatiques si nous ne prenons pas des mesures qu'il faut. Les spécialistes disent qu'on peut diminuer l'effet mais on ne peut pas l'annihiler complètement jusqu'à un certain nombre d'années en tout cas.
Combien y a-t-il de suspects dans cette affaire ?
Il y a 20 suspects au total. Dont Dauphin Claude et Valentin Jean Pierre, des responsables de Trafigura.

Propos recueillis par
Diarrassouba Sory\

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