jeudi 22 novembre 2007 par Le Patriote

L.P. : En début du mois de novembre, on a assisté à un mouvement de protestation des populations de Bouaké. Peut-on savoir ce qui s'est réellement passé ?

Commandant Wattao. Ce qui s'est passé est le fait de la Compagnie Ivoirienne d'Electricité (CIE). Cette compagnie s'est mal comportée. Elle a voulu imposer les compteurs prépayés à la population. Pourtant selon les termes de la convention qui lie les Forces Nouvelles à la CIE, ce sont les consommateurs eux-mêmes qui font librement la demande selon le type de compteur adapté à leurs besoins de consommation. Malheureusement, sans tenir compte de l'avis des populations, la CIE a décidé de changer les anciens compteurs par des compteurs prépayés. En plus de cela, la CIE n'a même pas tenu compte de la situation de certains de leurs clients à jour de leur cotisation. Il y a, par exemple, le cas d'un vieux propriétaire d'une cour de trois maisons. A ce vieillard, la CIE a tendu une facture de douze (12000000) millions au titre des arriérés de consommation. Comment voulez-vous qu'un tel vieillard puisse s'en sortir ? En plus de cela, sur le terrain, des agents de la CIE s'attelaient à faire croire aux populations que la moitié du montant de leur facture devait être prise en compte par les Forces Nouvelles. De quoi révolter les populations contre les Forces Nouvelles. En réalité, il y avait une machination visant à amener la population à se révolter contre les FN. Pourtant, de tout temps, nous avons lutté et continuons de lutter pour le bien être de nos populations.

L.P. : Quel est la nature du contrat qui lie cette compagnie aux FN ?

C. W. : Il n'existe pas de contrat entre la CIE et nous. Cependant, pour que cette société travaille tranquillement dans nos zones, nous avons mis en place un comité de gestion de l'électricité et de l'eau. Ce comité est dirigé par le ministre Sidiki Konaté. C'est dans ce cadre que nous avons eu plusieurs séances de travail avec les agents et responsables locaux de la CIE. Il n'a jamais été question au cours de ces séances d'un quelconque retrait des compteurs d'électricité de nos populations. Nous avons donc sensibilisé la population à payer leur facture. Nous n'avons jamais compris pourquoi, alors que les populations s'acquittaient du paiement de leurs factures d'électricité dans les agences, la CIE a décidé d'enlever les compteurs d'électricité de certains parmi eux. Les populations n'ont pas apprécié cette manière de faire. Il y a donc eu des échauffourées qui ont dégénéré.

L.P. : Mais comment expliquez-vous q'une simple manifestation de protestation contre cette entreprise de distribution d'électricité ait pu dégénérer aussi facilement dans la ville de Bouaké, considérée de surcroît comme le fief des Forces Nouvelles ?

C.W : Nous pensons que la question des factures n'était qu'un prétexte à ce soulèvement. En réalité, ce sont des mains obscures qui sont à la base de tous ces mouvements. Nous ne sommes pas contre les marches de protestation. Nous qui luttons pour la démocratisation de la Côte d'Ivoire, nous pensons que les citoyens sont libres de marcher à condition que cela se fasse dans l'ordre et la discipline. En revanche, nous sommes contre les pilleurs des biens d'autrui et les petits voyous qui profitent de ce genre de manifestations pour exécuter leur sale besogne. Nous autorités militaires des Forces Nouvelles ne pouvons pas accepter que des personnes malintentionnées s'infiltrent dans les marches pour faire autre chose. C'est tout le sens de la déclaration que j'ai faite devant les populations. Pour nous, il faut que les choses soient très claires. Si des gens veulent nous affronter, qu'ils le fassent à visage découvert plutôt que de se camoufler derrière des marches pour agir négativement.

L.P. : Justement à qui faites vous allusion en parlant de mains obscures, d'infiltrés ?

C.W. : Pour le moment, je préfère ne pas avancer de noms. Mais ces personnes là se connaissent.

L.P. : Peut-on parler d'un ras-le-bol des populations de vos zones contre les Forces Nouvelles?

C.W. : La réalité, est que ce qui s'est passé n'est pas une révolte des populations contre les FN. Cela fait déjà cinq (5) ans que nous vivons en bonne intelligence avec ces populations. Nous savons que depuis la signature de l'accord de Ouagadougou, les ennemis de la paix sont mal à l'aise et veulent par tous les moyens saboter le processus.

L.P. : Les gens vous reprochent aussi le racket et les abus de pouvoir de la part de certains de vos éléments. Est-ce que ces faits sont avérés ?

C.W. : C'est vrai que dans tous les corps de métier, il y a des brebis galeuses. Même au Sud aujourd'hui, certains éléments des FDS CI se comportent négativement. Cela ne veut pas dire que c'est le général Philippe Mangou ou encore le ministre de la défense ou celui de la sécurité qui leur donne des instructions pour racketter ou pour abuser des populations. Certains de nos éléments se comportent négativement sur le terrain. Mais cela ne saurait être mis à l'actif de la hiérarchie des FN. Ce sont des éléments égarés et incontrôlés qui agissent de la sorte. Ça dépend de l'éducation de tout un chacun. Jamais, un Chef militaire des Forces Nouvelles ne peut donner d'ordre à ses éléments d'agir de la sorte.

L.P. : Que faites vous quand on vous rapporte des cas pratiques?

C.W. Quand il y a des cas précis, bien entendu, nous prenons les mesures qui s'imposent en punissant les coupables.

L.P. : Concernant l'accord de Ouagadougou, est-ce qu'il se déroule comme vous le souhaitez?

C.W. Les accords de Ouagadougou marchent comme on le souhaitait. Mais, comme on vous l'a dit, il ne s'agit pas d'une course de vitesse. Il ne faudrait pas qu'on se précipite. On sait où la précipitation peut conduire. Il faut aller pas à pas. Lentement certes, mais sûrement. Il ne faut pas se précipiter et se retrouver demain dans le chaos. Cette crise dure plus de cinq ans déjà. L'accord de Ouaga a permis une certaine accalmie. Si les uns et les autres pensent que Ouaga ne s'applique pas normalement, alors, qu'ils nous proposent autre chose. C'est le sens de la déclaration que le Premier ministre a faite lors de sa visite à Gagnoa.

L.P. : Vous semblez être sur la défensive. Votre attitude donne l'impression que vous soupçonnez des personnes de vouloir vous voir échouer. Vrai ou faux?

C.W. Nous sommes conscients que les gens cherchent à nous faire échouer. Ces personnes qui souhaitent nous voir échouer, si vraiment elles existent, doivent savoir qu'elles se trompent de combat. Personne n'a intérêt à ce que les choses n'aboutissent pas. La réalité est, pourtant, là. L'homme de la situation aujourd'hui, c'est le Premier ministre Guillaume Soro qui se bat de toutes ses forces pour un retour rapide et durable à la normalité. On ne peut pas plaire à tout le monde. Même les envoyés et les prophètes de Dieu ont eu des ennemis sur leur chemin. Donc ce ne sont pas nous, de simples mortels, qui allons faire l'unanimité. Mais notre souhait, c'est que tous les Ivoiriens aident le Premier ministre Soro à réussir sa mission. Notre intérêt à tous se trouve dans la réussite de la mission conduite par Soro.

LP. Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent votre rapprochement actuel avec le FPI au détriment du RDR et du PDCI qui seraient vos alliés naturels depuis le début de cette lutte ?

C.W. : Tous ceux qui pensent ainsi sont des ennemis de la paix. Pour notre part, nous ne reconnaissons pas avoir trahi quelqu'un. Il n'y a jamais eu de pacte ni entre le RDR et les FN, ni entre le PDCI et les FN. Je ne sais pas pour quoi les gens veulent toujours trouver un lien entre le RDR et les FN. Soro a travaillé, par le passé, avec Gbagbo. Il a aussi travaillé, avant, avec Bédié et Alassane Ouattara. Mais, pourquoi on ne le rapproche pas des autres personnalités politiques et c'est toujours de Alassane Ouattara qu'on le rapproche. Est-ce par ce que tous les deux sont nordistes ? Je ne suis pas d'accord avec cette façon de voir les choses. On n'a jamais signé de pacte avec un quelconque parti politique. Même si nous avons des intérêts en commun avec certains de ces partis, cela ne veut pas dire que nous avons signé un quelconque pacte avec ces partis-là. Nous n'avons trahi personne. Il ne faut tout de même pas oublier que ce sont ces deux parties qui se sont affrontées, ici, à l'arme de guerre. Pourquoi ces deux parties ne se retrouveraient-elles pas pour offrir la paix aux Ivoiriens ? Si nous travaillons, aujourd'hui, avec le FPI, c'est parce que nous sommes les deux acteurs de la belligérance. Il est donc normal que pour la sortie de crise, nous puissions travailler ensemble. C'est la seule explication qu'il faut donner à notre rapprochement supposé avec le FPI et rien d'autre. Parce que quand il y a la guerre dans le pays, les balles ne choisissent pas leurs cibles. Il y a des gens du FPI, du RDR, du PDCI, de l'UDPCI, du MFA qui meurent. Pourquoi ne pas épargner des vies humaines dès lors que nous sommes tous des Ivoiriens ? Il était temps qu'on parte à la paix. Si nous avons accepté la main tendue du Président Gbagbo, c'est parce que nous avons voulu que cessent les souffrances des Ivoiriens. Refuser cette main tendue reviendrait pour nous à faire coucher la Côte d'Ivoire qui était déjà à genoux. Nous n'avions pas besoin de cela.

L.P. : L'objectif en prenant les armes était de mettre fin à ce régime. Le constat est que vous n'êtes pas parvenus à cet objectif initial. Et de guerre lasse, vous vous êtes sentis obligés de combattre le régime sur le terrain politique. Partagez-vous une telle analyse?

C.W. : Nous ne sommes pas un parti politique. Nous sommes une force militaro politique. La nuance est de taille. A la rigueur, si nous nous étions transformés en un parti politique, on pouvait nous prendre au mot. Nous avons décidé de ne pas créer un parti politique et d'être les arbitres impartiaux du jeu politique. Encore une fois, je dis et je répète que ceux qui font une telle analyse se trompent. Nous ne faisons pas de politique. Si nous voulions faire de la politique, nous aurions pu créer un parti politique. Nous avons décidé d'être l'arbitre du jeu politique et rien de plus.

L.P. : L'objectif initial était pourtant autre que le rôle d'arbitre que vous revendiquez, aujourd'hui.

C.W. : C'est vrai que nous avions un objectif clair. Mais si vous entreprenez quelque chose et que cette chose ne se passe pas comme vous le souhaitiez, vous choisissez d'autres moyens. C'est ce que nous sommes en train de faire en ce moment. Notre rôle aujourd'hui c'est de faire en sorte qu'il y ait des élections libres, transparentes et ouvertes à tous, pour qu'au soir de la proclamation des résultats, personne ne puisse jouer les contestataires. Nous savons comment les élections de 2000 se sont passées. Les plus grands partis politiques de la Côte d'Ivoire comme le PDCI et RDR ont été écartés de la course et on sait ce à quoi cela a conduit. Aujourd'hui, le sens de notre lutte c'est de permettre au peuple ivoirien dans sa grande majorité de choisir librement son prochain président. Dans cette optique, nous pensons que nous, Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire, n'avons pas trahi notre lutte initiale qui est et demeure la démocratisation de notre pays. Nous n'avons pas trahi la lutte. Bien au contraire, nous avons contribué positivement à l'enracinement des pratiques démocratiques dans notre pays.

L.P. : Certaines personnes pensent que vous, personnellement, en tant que Wattao, vous en faites un peu trop. On vous voit, un peu partout, à Gagnoa, à Abidjan, à la télévision, dans les médias. Est-ce que tout cela participe de la décrispation de l'environnement politique ou d'une logique de promotion personnelle?

C.W. : Pour nous, tous les actes que nous posons vont dans le sens de la paix et de l'apaisement souhaité par l'accord de Ouaga. Ceux qui trouvent, justement, à redire sont ceux là mêmes qui n'aiment pas la paix. Ces actes auxquels vous faites allusion contribuent à rassurer davantage les populations. Et du coup, elles se sont mises à croire, de plus en plus, à la paix. C'est ce à quoi nous voulons amener les populations. On ne peut pas rester dans son salon pour parler de la paix, il faut aller sur le terrain et poser des actes positifs et concrets malgré les risques que cela comporte. C'est à cela que nous nous attelons.

L.P. : Ces actes sont considérés par de nombreux observateurs comme étant des actes purement symboliques. A quand les actes concrets ?

C.W. Ce sont les actes symboliques qui conduisent aux actes concrets. Pour poser un acte concret, il faut partir des symboles, il faut donner des signaux forts. Il faut toujours commencer toujours par quelque chose pour arriver à l'objectif visé. On ne peut pas avoir d'enfant avec une femme sans, au préalable, lui faire des avances. Quand elle est d'accord, vous décidez de vivre ensemble. Et c'est en ce moment précis que vous décidez de faire des enfants.

L.P. : N'y a-t-il pas un déficit de communication entre vous et la population ?

C.W. : Cela m'étonnerait. Parce qu'aujourd'hui il y a la télévision un peu partout, tout le monde reçoit les messages du Président de la République et du Premier ministre à travers les medias audiovisuels et écrits. A bien y réfléchir, c'est vrai que nous gagnerons, peut être, à faire un peu plus de communication de proximité en procédant par le porte-à-porte et en allant régulièrement à la rencontre de nos populations pour leur expliquer le sens de tous les actes que nous posons en leur faveur. Mais, il faut reconnaître que avant que notre Secrétaire général accepte le poste de la primature, nous avons tenu à sensibiliser les populations. A ce que je sache, ce sont les populations, elles mêmes, et les chefs militaires de nos zones qui ont donné leur caution à la nomination de notre secrétaire général au poste de premier ministre.

Réalisée par Khristian Kara, envoyé spécial à Bouaké

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