lundi 19 novembre 2007 par Fraternité Matin

Ce fléau préoccupe les États à travers le monde. Ils ont adopté une déclaration et élaboré des mesures pour y remédier. Le 7 juin 2006 à Genève, sous la houlette du gouvernement suisse et du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 42 pays dont 9 pays africains ont adopté un texte baptisé: Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement. Ce texte n'est pas un instrument juridique; il n'a donc pas un caractère contraignant pour les Etats signataires. Cette initiative a été motivée par le constat suivant: La violence armée détruit vies et moyens de subsistance, alimente l'insécurité, la crainte et la terreur et a un impact profondément néfaste sur le développement humain. Qu'il s'agisse de situations de conflit ou de criminalité, elle impose des coûts exorbitants aux Etats, aux communautés et aux individus () Des organisations non gouvernementales (Ong) et des organisations internationales, invitées au sommet de Genève, ont également apporté leur soutien à ce texte qui rappelle des réalités évidentes, lesquelles pourtant ne sont pas souvent intégrées dans l'élaboration et la mise en ?uvre des politiques de développement. Notamment le fait que () la prévention et la résolution des conflits, la réduction de la violence, le respect des droits humains, la bonne gouvernance et la construction de la paix sont des éléments-clés pour réduire la pauvreté, promouvoir la croissance économique et améliorer les conditions de vie des individus. Conscients de cet état de fait, les Etats ont identifié six mesures pratiques à mettre en ?uvre solidairement aux niveaux national, régional et multilatéral, afin d'aboutir à l'horizon 2015 à une réduction quantifiable du fléau mondial de la violence armée et à des améliorations tangibles de la sécurité humaine dans le monde entier. Ces mesures consistent à: favoriser la prévention et le règlement des conflits, soutenir la réconciliation et la reconstruction post-crise; endiguer la prolifération, le trafic illégal et l'utilisation illicite des armes légères et de petit calibre ainsi que des munitions, parvenir à une réduction effective des armes, à des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ex-combattants; soutenir le respect total des droits humains, promouvoir le règlement pacifique des différends fondé sur la justice et l'Etat de droit et ?uvrer pour combattre l'impunité; encourager le développement d'institutions de sécurité publique efficaces et responsables; promouvoir une approche globale des questions liées à la réduction de la violence armée qui intègre les situations, besoins et ressources différents des femmes et des hommes, des filles et des garçons, tels qu'indiqués dans les résolutions 1325 et 1612 du Conseil de sécurité de l'Onu; favoriser des initiatives de prévention et de réduction de la violence armée qui prennent en compte les facteurs spécifiques et les groupes à risque, et qui proposent aux individus et aux communautés des moyens de subsister autrement que par la violence. Six mesures concrètes
Pour se donner toutes les chances d'atteindre les objectifs poursuivis, les signataires se sont également engagés à, entre autres, soutenir des partenariats dynamiques entre gouvernements, organisations internationales et société civile. Après le 7 juin 2006, 8 autres Etats ont formellement adopté la Déclaration de Genève. A l'occasion de la première réunion régionale au Guatemala (du 23 au 24 avril 2007), 12 pays d'Amérique latine et des Caraïbes ont souscrit aux principes et objectifs de la Déclaration. Les 30 et 31 octobre dernier, la deuxième réunion ?d'acclimatation' de cette déclaration a eu lieu au Kenya. 31 Etats africains, 12 pays non africains, 26 organisations de la société civile et 18 organisations internationales ont pris part à ces assises sur la mise en ?uvre des principes et objectifs de la Déclaration dans le contexte africain. La Côte d'Ivoire était représentée à Nairobi, au niveau étatique, par le président de la Commission nationale de lutte contre les armes légères; et au niveau de la société civile, par la présidente du Réseau des journalistes pour la paix et la sécurité (RJPS) et du Réseau d'action sur les armes légères en Afrique de l'Ouest, section Côte d'Ivoire (RASALAO-CI), ainsi que par le président de Action pour la protection des droits de l'homme (APDH). La prochaine réunion régionale aura lieu en mars 2008 à Bangkok (Thaïlande), pour les pays d'Asie. Elle sera suivie d'une réunion sous-régionale pour les pays du sud-est de l'Europe; ni la date, ni la ville hôte ne sont pour l'heure connues. Les différentes Déclarations régionales sont mises en annexe de la Déclaration de Genève, afin d'aider les Etats dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement.
Repères
COUT 1. Des Ong internationales que sont Oxfam, le RAIAL et Safeworld ont, pour la première fois, évalué le coût économique des conflits armés pour le développement de l'Afrique. Cette étude publiée en octobre dernier indique qu'environ 300 milliards de dollars ont été perdus, depuis 1990, en Algérie, en Angola, au Burundi, en République Centrafricaine, au Tchad, en République démocratique du Congo (RDC), en République du Congo, en Côte d'Ivoire, au Djibouti, en Erythrée, en Ethiopie, au Ghana, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Liberia, au Niger, au Nigeria, au Rwanda, au Sénégal, en Sierra Leone, en Afrique du Sud, au Soudan et en Ouganda. Cette somme correspond à l'aide internationale des principaux donateurs au cours de la même période. COUT 2. Toujours selon cette étude publiée en octobre dernier, les conflits armés coûtent environ 18 milliards de dollars par an à l'Afrique. Les armes les plus utilisées dans les conflits africains sont les fusils d'assaut kalachnikov. La grande majorité de ces armes et leurs munitions ? environ 95% - proviennent de l'extérieur de l'Afrique. MESURABILITE. Selon les chercheurs, les coûts proviennent de différents facteurs. Il y a les coûts directs que sont les coûts médicaux, les dépenses militaires, les destructions des infrastructures et les soins apportés aux personnes déplacées. Il y a les coûts indirects qui résultent d'opportunités perdues et qui, selon les chercheurs, sont encore plus élevés. Ils indiquent également que les revenus qui découlent des ressources naturelles de valeur finissent dans les poches d'individus, plutôt que de profiter au pays. Option : Volonté politique
Plus de 300 milliards de dollars évaporés dans des conflits absurdes qui ont touché une vingtaine de pays africains ? au nombre desquels figure la Côte d'Ivoire ? depuis 1990. Des ressources précieuses utilisées par ces Africains pour s'auto-détruire. Dans le même temps, nos gouvernements tendent la main aux bailleurs de fonds occidentaux ? principaux producteurs et vendeurs d'armes ? pour construire des écoles, des hôpitaux, des routes, des logements, créer des emplois pour les jeunes.
Dans un domaine où il est difficile d'avoir des données statistiques, c'est un formidable travail qu'a effectué le groupe de recherche constitué par Oxfam, le RAIAL et Safeworld, pour évaluer le coût, considérable et scandaleux, que paient les peuples africains à la prolifération et la circulation illicite des armes légères sur leur continent. Ces chercheurs indiquent que les pertes de l'Afrique dues aux guerres, guerres civiles et insurrections s'élèvent à environ 18 milliards de dollars par an. Les conflits armés réduisent, en moyenne, l'économie de la nation africaine de 15%. Et ce chiffre est probablement sous-estimé. Les coûts réels de la violence armée pour les Africains pourraient être bien plus élevés. Il est donc urgent pour l'Afrique d'arrêter l'hémorragie si elle veut s'arrimer au train du développement et cesser d'être le continent de tous les fléaux, ce continent que tous méprisent alors qu'il est certainement le plus riche de la planète. Dans leur rapport, ces experts soulignent que, si la violence armée est si coûteuse et que la plupart des armes proviennent de l'extérieur, l'Afrique doit donc arrêter, de manière urgente, le flux d'armes qui parvient aux personnes commentant des abus des droits de l'homme et ignorant les règles de la guerre. En plus d'une approche portant sur la demande d'armes, des initiatives importantes doivent être prises dans le but de restreindre leur approvisionnement () Et la prise de ces décisions et leur application est de la responsabilité première des gouvernants africains. Hélas, en la matière, la volonté politique manque cruellement. Elle ne se résume qu'en des professions de foi et des déclarations de bonne intention, le temps de sommets fastueux, sans impact réel sur le quotidien des populations.
SEM. Anton Thalmann, Secrétaire d'État adjoint aux Affaires étrangères, Suisse : Il faut incorporer l'aspect de la violence armée dans les plans de développement?
Excellence, pourquoi votre pays, la Suisse, a-t-il jugé nécessaire d'initier, avec le PNUD, une Déclaration sur la violence armée et le développement?
A la base, il y a la tradition humanitaire de la Suisse. Nous attachons également beaucoup d'importance à une coopération au développement de haut niveau. On voit que la violence armée détruit souvent les acquis du développement là où il en existe. Au fond, il est donc naturel d'agir sur ce front-là aussi. Vous estimez donc que dans les politiques de développement, le lien entre la violence armée, la sécurité et le développement n'est pas suffisamment mis en relief?
C'est justement le problème. On pourrait dire que le lien est évident. Mais c'est parce qu'il est évident qu'il a besoin d'être creusé. Il faut donc arriver à incorporer cet aspect de la violence armée dans les plans de développement au niveau national, et parfois aussi au niveau régional.

Quels sont les autres partenaires qui sont partie prenante dans cette initiative et à quel niveau d'implication se situent-ils?
Nous avons des partenaires qui sont des Etats, notamment ceux qui nous accompagnent dans un grand groupe de pays qui s'engagent particulièrement. Mais nous travaillons aussi avec bon nombre d'Ong qui ont un intérêt important pour ces questions.
En plus de la Déclaration de Genève, vous avez initié des Déclarations régionales, à quoi cela répond-il?
Les ?succursales' régionales de la Déclaration de Genève servent à concrétiser les grandes lignes d'une initiative qui est mondiale; et qui donc ne peut pas couvrir toutes les spécificités d'une région.

Combien de Déclarations régionales y aura-t-il?
Pour le moment, nous avons la Déclaration du Guatemala; c'était la première Déclaration régionale. Elle a été adoptée au printemps 2007. Et, maintenant, nous en avons une en Afrique. L'année prochaine, nous en aurons une en Asie. Nous aimerions aller plus loin, probablement l'Asie centrale, etc. Nous verrons avec les résultats des autres Déclarations jusqu'où nous pourrons aller.

Au-delà des principes qui ont été édictées, quels sont les mécanismes que vous mettez en place pour vous assurer que la Déclaration est effectivement mise en ?uvre sur le terrain?
Le suivi est surtout du ressort des Etats. Et sans volonté politique de leur part, cette initiative ne va pas décoller, cela est clair. Il faut des progrès concrets, et pour cela il importe de continuer à entretenir un dialogue avec eux. Tout comme il faut que les Etats entre eux dialoguent.

Pour quelles raisons avez-vous invité des organisations de la société civile à participer à cette initiative?
Nous les avons invitées parce que les Etats reconnaissent de plus en plus qu'il est important de les faire participer aux grandes discussions; parce qu'elles peuvent apporter des vérités, des aspects aux discussions qui sont souvent fermées aux Etats. On peut se réjouir que, depuis quelques années, la relation entre Etats et Ong, sur ces questions, soit devenue beaucoup moins antagoniste. En tout cas, les Etats arrivent à prendre la critique qui vient des Ong avec plus de flegme qu'avant. Cela est une bonne chose.

Qu'attendez-vous des Ong pour booster cette initiative?
Je pense que le dialogue continue. Dans ces étapes futures, il faut qu'il y ait toujours une certaine implication entre les représentants des deux côtés. Et je crois que pour cela, le séminaire que nous avons tenu pour adopter cette Déclaration (africaine) était très propice.

Il y a beaucoup d'instruments et de mécanismes qui sont mis en place par les Etats et les organisations internationales, mais qui ne sont pas appliqués. Ne craignez-vous pas que la Déclaration de Genève et ses Déclarations annexes ne soient des mécanismes de trop qui vont finir comme les autres?
Il faut toujours rester optimiste. On ne peut pas dire que le succès est garanti, c'est une tentative de plus, et si elle apporte quelques progrès, alors ça aura valu la peine.

Quelle part la Suisse prend et entend-elle prendre dans l'avenir, dans un partenariat avec l'Afrique, justement pour le développement, la réduction de la pauvreté, de l'insécurité?
L'Afrique est déjà prioritaire dans la politique de coopération au développement de la Suisse. Nous avons une priorité, c'est le combat contre la pauvreté. Je crois que pour cela, dans le cadre de l'Afrique, nous n'avons pas besoin de changer grand-chose.
Interview réalisée à Nairobi Par Michèle Pépé


Focus : 18% de la mortalité liée aux armes légères en Afrique

Les 30 et 31 octobre dernier, 31 Etats africains, réunis à Nairobi (Kenya), ont adopté une Déclaration africaine sur la violence armée et le développement. 12 pays européens, asiatiques, nord et latino-américains, 26 organisations de la société civile et 18 organisations internationales ont également participé à la rencontre, qui s'est déroulée au Windsor Golf hôtel & Country club.
Cette réunion régionale, qui entre dans le cadre de la mise en ?uvre de la Déclaration de Genève, a été organisée par les gouvernements du Kenya et de la Suisse, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Dont la Représentante résidente adjointe au Kenya, Mme Nardos Bekele-Thomas, a donné un certain nombre de statistiques, à l'ouverture de la réunion: 40% des Africains habitent dans les zones urbaines et dans des quartiers précaires; 18% de la mortalité liée aux armes légères et de petit calibre sont répertoriés en Afrique; la violence armée fait décliner de 15% l'économie d'un pays. Pour sa part, le ministre kenyan des Affaires étrangères, SEM. Raphael Tuju, a posé la problématique en des termes très clairs: Avons-nous le courage de lutter contre les commerçants des armes légères, de refuser l'argent qu'ils déposent dans nos banques? Avons-nous le courage moral de refuser les contributions financières qu'ils font à nos hommes politiques? Avons-nous le courage de nous opposer aux producteurs des armes? Je n'en suis pas sûr Le ministre a toutefois poursuivi en exhortant les gouvernements africains à prendre leurs responsabilités: Nous devons lutter contre le fléau des armes légères qui cause beaucoup de dégâts sur notre continent. Je ne suis pas assez naïf pour croire que la production des armes légères peut-être arrêtée du jour au lendemain, c'est un problème difficile. Mais on peut avoir des contrôles réglementaires des producteurs, des fournisseurs, des importations et exportations, faire un suivi et gérer la destruction de ces armes. Ma conviction est que la plupart des conflits peuvent être prévenus si nous abordons la question de la pauvreté, qui amène les gens à utiliser les armes pour régler leur conflit. A l'issue de deux jours de partage d'expériences, de travaux en groupes régionaux, puis thématiques, et en plénières, les 135 participants ont fait des propositions d'actions respectant le cadre de mise en ?uvre de la Déclaration de Genève. Ce cadre a été élaboré par un groupe restreint de 10 pays (dont deux pays africains que sont le Kenya et le Maroc), mis en place le 14 novembre 2006 pour faire la promotion et le suivi de la Déclaration de Genève.
Les travaux se sont achevés par l'adoption de la Déclaration africaine qui, pour l'essentiel, reprend les principes et les mesures développés dans la Déclaration de Genève, en les adaptant au contexte africain. Les Etats africains se sont engagés, entre autres, à promouvoir la participation active des femmes dans la conception, dans la mise en ?uvre et dans l'évaluation des programmes de prévention et de réduction de la violence armée; à élaborer et/ou à renforcer les politiques et programmes éducatifs qui ciblent la prévention et la réduction de la violence armée au sein de la jeunesse et qui préconisent une culture d'empathie, de tolérance et de réconciliation; à promouvoir la sécurité communautaire en soutenant et en renforçant les partenariats entre le gouvernement et la société civile, etc.

Michèle Pépé
Envoyée spéciale à Nairobi

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