samedi 27 octobre 2007 par Fraternité Matin

Le nouvel ambassadeur d'Espagne en Côte d'Ivoire dévoile le plan stratégique de coopération de son pays avec l'Afrique et particulièrement avec la Côte d'Ivoire. Le 12 octobre, vous avez célébré votre fête nationale. Sous quel signe avez-vous placé cette commémoration?
Le 12 octobre symbolise un événement historique. L'Espagne, en 1492, a initié une période de projection culturelle et linguistique au-delà des limites européennes. Au moment de cette projection nous étions sur le point de conclure un processus de construction de l'Etat à partir de notre pluralisme culturel et politique et de réaliser l'intégration des différents royaumes dans une même monarchie.
Certes, le 12 octobre 1492 c´était la date de l'arrivée de Cristobal Colón (ndlr Christophe Colomb) en Amérique ; mais cette date marque la naissance de l'Etat d'Espagne Excellence, votre mission en Côte d'Ivoire commence au moment où ce pays s'est engagé dans un processus de sortie de crise. Que pensez-vous de cette situation?
La signature, le 4 mars, de l'Accord de Ouagadougou a ouvert une période d'espoirs et de défis pour cette sortie progressive de la crise en Côte d'Ivoire. Il y a encore beaucoup à faire mais le plus important est que le processus de paix me paraît irréversible.
Depuis mon arrivée, il y a trois mois, j'ai pu constater beaucoup de signes positifs dans les milieux politiques ainsi que dans la société civile et qui montrent qu'il y a une volonté à tous les niveaux d'aller à une normalisation de la vie politique ivoirienne. Il me semble important de rappeler que l´Espagne entretient des relations diplomatiques avec la Côte d'Ivoire depuis 1964. Les relations bilatérales ont toujours été très cordiales et fluides au niveau politique et institutionnel. L'Espagne a toujours été aux côtés de la Côte d´Ivoire, dans les moments de prospérité avec un programme de coopération financière très important, et aussi dans les moments difficiles pendant cette crise. Aujourd´hui aussi l'Espagne veut accompagner la Côte d'Ivoire dans ce processus vers la stabilité et la prospérité. A part le port de pêche de Grand-Lahou, y a-t-il d'autres programmes de coopération avec la Côte d'Ivoire pour la sortie de crise?
Je voudrais situer la coopération avec la Côte d'Ivoire dans la nouvelle priorité que représente l'Afrique pour l'Espagne, aujourd'hui. Au cours des trois dernières années, l'Espagne a développé une nouvelle stratégie vers ce continent avec des lignes d'actions prioritaires bien définies. Cette stratégie est décrite dans le Plan Afrique pour la période 2006-2008. Ce Plan constitue le cadre d´action pour nos relations avec les pays de l´Afrique. Une de ces lignes est la lutte contre la pauvreté.
Dans le cadre d'exécution de ce plan, la Côte d'Ivoire a bénéficié de trois mesures. L´Espagne a d'abord annulé au mois de juillet dernier toute la dette bilatérale que la Côte d´Ivoire avait contractée auprès d'elle avant décembre 2003 et qui était évaluée au total à 56.8 millions d´euros. L'Espagne a ensuite apporté un appui aux micro-projets ivoiriens dans le domaine des services sociaux de base : éducation, santé et développement communautaire. Ici, j´aimerais souligner le rôle de la coopération décentralisée espagnole, c´est-à-dire, des gouvernements régionaux et des municipalités espagnoles. Mon pays s'est enfin engagé dans la voie de la coopération multilatérale à travers les Nations unies. Par exemple, cette année, nous avons appuyé un projet de UNICEF dans l'ancienne zone de confiance pour faciliter l'accès à l'eau potable et pour la prévention des maladies liées à sa consommation. Que pensez-vous de l'immigration clandestine que l'Espagne, à l'instar d'autres pays de la Méditerranée, tente de juguler ? Et quel bilan faites-vous du plan de lutte que vous avez mis sur pied avec le Maroc et le Sénégal?
L´immigration clandestine est un drame pour des milliers d´Africains, dont le rêve d'une vie meilleure rencontre toujours la mort dans la Méditerranée ou le désert sans oublier la cupidité des mafieux qui s'enrichissent à leurs dépens, exploitant de façon éhontée et inhumaine leurs souffrances et désespoirs.
Devant cet état de fait, l´Espagne a plaidé en faveur d´une approche globale et concertée basée sur le respect des droits de l´Homme et de la dignité de la personne. Cette approche combine la lutte contre l´immigration illégale et le trafic d´êtres humains.Les moyens utilisés pour conduire ce projet à des résultats probants sont : le renforcement des capacités dans les pays d´origine pour gérer l´immigration, la promotion des actions de co-développement et l´application de politiques d´intégration, entre autres. La Conférence euro-africaine de Rabat sur la migration et le développement (juillet 2006) impulsée conjointement par l´Espagne et le Maroc, a représenté le point de départ pour la promotion de ce modèle de coopération basé sur une approche globale et concertée. Le renforcement de la coopération avec les pays africains pour la régulation des flux migratoires est une des lignes d'actions prioritaires du Plan Afrique dont j'ai parlé tantôt. Nous sommes en train de travailler dans cette perspective avec des pays comme le Maroc et le Sénégal. La coopération, en terme d'immigration, marche bien. Dans tous les cas, ce sera en 2008, à la fin du Plan Afrique , que nous ferons le bilan de ce qui a été fait à cet effet. Excellence, quels sont vos projets à moyen et à long terme en Côte d'Ivoire?
Il faut repréciser que les relations entre l'Espagne et la Côte d'Ivoire se situent dans le cadre de référence qu'offre le Plan Afrique. Il y a une ligne d´action qu´il faut développer dans ce pays : la promotion des investissements, et les relations économiques et commerciales. A la fin des années 90, nous avons signé, à cet effet, un programme de coopération financière. Avec la crise, les entreprises espagnoles sont parties de la Côte d'Ivoire. Il n'y a pas eu de nouveaux investissements significatifs et le niveau des relations économiques a donc chuté
Nous sommes dans une situation qui n'est pas très dynamique du fait de la crise. Le temps est maintenant arrivé pour relancer les relations économiques et commerciales et les investissements espagnols en Côte d'Ivoire. Quel est, à cet effet, votre souhait?
Mon souhait serait que le processus de Ouagadougou avance comme prévu et que la Côte d´Ivoire arrive à une normalisation de la vie politique et à une stabilité dans tous les domaines. Ce sont pour l'essentiel les signes que le secteur privé, qui a déjà commencé à se positionner, attend pour retourner dans ce pays. Certes il a eu déjà des signes positifs en vue de la sortie de la crise que nous avons commencé à leur montrer pour les encourager, mais il y a encore des incertitudes qui, je l'espère, vont bientôt disparaître. Pour le Plan Afrique, il y a un volet que vous avez intitulé Casa África - la Maison d'Afrique. De quoi s'agit-il?
Un élément essentiel dans la nouvelle politique espagnole vers l'Afrique a été la création de Casa África (la Maison d'Afrique). Le siège se trouve aux îles Canaries, la région espagnole la plus proche de l'Afrique. Cette institution a été inaugurée le 12 juin 2007. La Maison d'Afrique est née avec pour vocation de devenir un espace ouvert et global afin que les sociétés civiles de l'Espagne et de l'Afrique puissent améliorer le degré de leurs connaissances réciproques. C'est, après tout, un instrument pour le rapprochement des gouvernements, des institutions et des sociétés civiles de l'Espagne et de l'Afrique.
Ses activités englobent le domaine culturel, académique, social et de la coopération, sans oublier le domaine économique et politico-institutionnel. A travers la Maison d'Afrique, nous espérons aussi diffuser toutes les valeurs universelles que porte la culture africaine. La Maison d'Afrique a-t-elle un programme?
Elle va commencer une tournée en Afrique afin de présenter l'institution et examiner les potentialités de travail avec les différents pays. J'espère qu'en 2008 La Maison d'Afrique viendra en Côte d'Ivoire pour voir les opportunités de travail avec ce pays. Au-delà de la diplomatie classique, qu'envisage l'Espagne pour l'Afrique?
Dans la présente étape de ses relations avec l'Afrique, l'Espagne accorde une importance particulière au renforcement de sa collaboration avec ses institutions : l'Union africaine, le NEPAD et au niveau sous-régional, la CEDEAO.
Ce sont des interlocuteurs incontournables pour des sujets comme le maintien de la paix, le règlement pacifique des conflits, le développement économique durable et la régulation des mouvements migratoires. Que compte faire l'Espagne pour la promotion de la femme?
L'Espagne a fait de la politique du genre un élément indispensable, transversal et distinctif de son action extérieure avec l'Afrique. La promotion de la situation de la femme dans tous les domaines et notamment la lutte pour l'égalité sont les pierres angulaires de cette politique. Les femmes africaines ont pu compter sur des initiatives comme la Rencontre Espagne-Afrique : Femmes pour un monde meilleur, présidée par la Vice-présidente du gouvernement espagnol María Teresa Fernández de la Vega. Après les rencontres de Maputo et Madrid, on se prépare pour Niamey le 8 mars 2008. Pour matérialiser notre compromis avec la femme africaine, l'Espagne vient de créer avec le NEPAD un fonds initialement doté de 10 millions d'euros. On va travailler dans une première phase avec des pays pilotes. La Côte d'Ivoire pourra bénéficier de cette initiative dans une phase ultérieure.

Propos recueillis par
Franck A. Zagbayou et
Ernest Aka Simon

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