jeudi 20 septembre 2007 par Le Front

Cinq (5) mois après sa nomination à la tête du département en charge de la culture et de la francophonie, M. Augustin Kouadio Komoé se décide de lever un coin de voile sur les innovations dans le fonctionnement du ministère qu'il dirige. En marge de la 15ème édition du festival national ?'vacances culture'', dans la capitale du Zanzan, il s'est confié à nous. Le problème du Burida, la politique culturelle du pays, les artistes ivoiriens sont, entre autres, les termes qu'il a abordés dans cet entretien.


Monsieur le ministre, votre prédécesseur avait organisé la 14è édition de vacances-culture dans sa région à Jacqueville. Vous arrivez et le festival a lieu à Bondoukou, votre région également. Comment expliquez-vous le choix des villes. Est-ce une coïncidence ?

C'est une coïncidence parce que mes collaborateurs avaient déjà choisi la région du Zanzan comme celle devant abriter cette édition de vacances-culture. Je n'ai fait qu'entériner leur choix. C'est donc une coïncidence. Il y a eu plusieurs éditions avec une interruption de près de 10 ans. Vacances-culture est en train de chercher son chemin. En l'espace, les questions de critères, de choix des localités devant abriter cette manifestation se posent avec beaucoup d'acuité. Je dois vous avouer qu'il n'y a pas de critères édités de façon formelle. Mes collaborateurs et quelques chefs au niveau du ministère de la culture essaient de voir dans les localités des 30 régions de Côte d'Ivoire celle qui offre le plus d'atouts pour abriter cette manifestation. Avec l'équipe de Vacances-culture, nous avons admis à Bondoukou la nécessité d'élaborer des critères qui soient connus d'avance et qui soient portés à la connaissance des Ivoiriens de sorte que toutes les régions se présentent comme candidates potentielles pour abriter cette manifestation. Les prochaines fois, les critères seront énoncés à l'avance.

Cette année, dans les rubriques des festivités, le théâtre qui a autrefois révélé des talents, est absent. Y a-t-il une explication à cela ?

Je constate que le théâtre intéresse beaucoup les Ivoiriens. Malheureusement, quand on ouvre les salles de théâtre à Abidjan, on ne voit pas grand monde. Je le dis parce que nous avons notre projet baptisé ?'brassage'' dans lequel nous n'avons pas mis le théâtre. L'absence du théâtre doit certainement être dû au fait que le délais de préparation à cette édition a été très court. C'est simplement cela. Mais, le théâtre tient une place importante dans notre dispositif. Et le chef de l'Etat nous a pratiquement enjoint d'élaborer une stratégie pour que nos salles de théâtre attirent du monde. Le théâtre au-delà du divertissement, du spectacle est un instrument d'éducation et d'instruction. Il convient de l'associer pour permettre à notre peuple de s'instruire et de s'ouvrir sur des horizons.

Quelles sont, selon vous, les stratégies à élaborer pour permettre au théâtre d'attirer du monde ?

Cela commence par avoir des salles de cinéma, mettre en place des troupes théâtrales. Cela passe aussi par les salles de formation. Il faut former les gens, dynamiser les programmes de formation de telle sorte qu'au sortir de cette formation, les acteurs n'attendent pas d'être forcement embauchés à la fonction publique pour exercer leur art. Mais, qu'ils puissent eux-mêmes avoir l'initiative de monter avec l'apport de l'Etat de bonnes troupes. Ainsi, petit à petit, le public va renouer avec cet art qui paraît primordial.

Monsieur le ministre, quelle place occupe la culture dans le développement de la Côte d'Ivoire ?

Poser de cette façon, la réponse me paraît difficile. Si vous m'aviez demandé la place de la culture dans le développement d'un pays, j'aurais été de façon générale plus à l'aise. Je dois avouer qu'aucun développement durable ne peut se faire sans la culture. Parce qu'elle est le fondement de toute chose. Elle se présente comme étant le sous-bassement de toute politique. Voyez-vous la culture renvoie à la mémoire, à nos traditions. Qui dit mémoire dit tradition donc dit enracinement. Vous ne pouvez prétendre vous développer si vous n'avez pas de bonnes racines. Les pays qui se sont développés aujourd'hui et qui dominent le monde ont ancré leur développement dans leur culture. Aujourd'hui, les exemples sont légion. Nous avons des pays d'Asie du sud-est. Ces pays font de la mondialité mais n'ont pas pour autant renié leur culture. Chez nous, nous avons pris des éléments de culture d'autres pays qui ne nous sied pas. On fait comme les Français alors que nous n'avons pas la culture française. C'est dire que si vous n'êtes enraciné dans votre culture c'est sûr que vous allez créer une société dite des éléphants en carton. Le moindre fait, vous fait chuter. En Côte d'Ivoire, je conviens avec vous que la culture est un peu le parent pauvre. Parce que les Ivoiriens eux-mêmes n'ont pas compris l'importance de cette culture au point de la banaliser. De plus en plus, la volonté politique s'affiche à mettre la culture en avant. Je pense que, de plus en plus, le déclic se fait, la culture va retrouver la place qui est la sienne dans le pays.

Quels sont vos rapports avec les artistes ivoiriens ?

De mon point de vue, nos rapports sont bons. C'est ma raison d'être. Je ne badine donc pas à me mettre à dos les artistes et les opérateurs culturels. Parce que je ne suis pas moi-même un artiste. Je suis un politique, j'essaie de faire avancer les choses. Les premières personnes à écouter sont les artistes, les hommes de culture. Je leur parle, on échange. Aujourd'hui, il y a une accalmie dans le milieu. Je suis très attentif à ce qui les touche. J'essaie avec eux de trouver des solutions au complexe problème qui mine leur milieu.

La complexité de leur problème était aussi, dans un passé récent, la gestion du BURIDA.

L'avenir du Burida ne se trouve pas entre les mains d'un individu. Il se trouve dans la volonté politique de développer cette structure chargée de protéger les droits d'auteur, de collecter les ressources issues de leur production et d'en faire une répartition. L'histoire de l'administrateur provisoire vous la connaissez. Je l'ai prise en marche moi-même. J'ai trouvé un administrateur provisoire en place mais comme j'écoute beaucoup, j'ai nommé un autre. Avant d'être nommé, je savais qu'il y avait beaucoup de problèmes au Burida, beaucoup de contestations dans la façon de voir, de gérer cette structure. Mon prédécesseur a mis en place une administration en attendant de proposer une structure définitive qui puisse rallier toutes les tendances et permettre à ce bureau de gérer au mieux les intérêts des artistes. J'avoue qu'en arrivant, j'ai entendu beaucoup de bruits de bottes. Les artistes n'étaient pas tout à fait contents de la nature de la structure qui était proposée. Ils réclament tout simplement que le Burida leur soit cédé. Là-dessus, vous connaissez certainement la position du chef de l'Etat. Il demande que le Burida soit cédé aux artistes. Mais, en le disant, le président de la République ne pense pas que l'Etat se retire complètement du secteur de la collecte et de la distribution des droits d'auteur. Parce que c'est une obligation de l'Etat d'organiser ce secteur. La Côte d'Ivoire comme d'autres pays a signé une convention pour préserver et protéger la production intellectuelle. C'est pour cela que vous verrez que dans tous les pays, l'Etat a un droit de regard parce que s'étant engagé au plan international à protéger les artistes enfin qu'ils vivent de leur production. Donc l'Etat ne peut pas se désengager complètement. Ce que l'Etat a à faire, c'est d'organiser au mieux pour que ça puisse profiter à ceux qui produisent. La plupart de ceux qui s'agitaient à l'époque n'étaient même pas sociétaires du Burida. Les gens pensent qu'il suffit d'être artiste pour émarger au Burida. Pour le faire, il faut y être inscrit et y enregistrer les ?uvres. Ce sont les ?uvres qui donnent des droits au Burida. Si vous n'avez aucune ?uvre, vous n'avez non plus aucun sou. Ce que nous sommes en train de faire, c'est de trouver la forme de la structure qui permette aux artistes de s'exprimer là-dedans, de reconnaître que c'est leur instrument. Mais, en même temps, de permettre le droit de regard de l'Etat. Nous sommes pratiquement prêts, nous attendons de prendre des conseils. Et j'espère qu'avant la fin de cette année, nous allons publier la forme définitive de ce bureau des droits d'auteur. J'espère que les artistes en ce moment seront très satisfaits. Je dois avouer que j'ai mis un peu d'ordre dans l'administration provisoire. C'est peut-être ce qui fait que les artistes sont restés un peu sereins. J'aurai l'occasion de vous donner des chiffres. Mais, avec deux mois d'administration provisoire, je peux vous assurer que les recettes du Burida sont passées du simple au double. Très bientôt je vais en mission et à mon retour je vais présenter à l'opinion un nouveau système de recrutement des artistes qui sont inscrits au Burida. Ils n'iront plus prendre de l'argent au Burida dans les enveloppes comme ils le faisaient auparavant. Nous sommes aujourd'hui à l'heure des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il y a ce qu'on appelle la monétique, la carte magnétique. Désormais, en Côte d'Ivoire les artistes auront des cartes de crédit qui vont être chargés en fonction de la disponibilité de leur droit au Burida. Ils iront dans les distributeurs automatiques comme ceux qui disposent des cartes Visa, Master Card et autres pour se servir comme tout le monde. Ce mois-ci déjà, ils seront payés de cette façon. Mais le produit sera présenté de façon officiel quand je serai de retour de mission. Voilà un peu ce que nous faisons pour le Burida et pour permettre effectivement aux artistes de vivre de leur production.

A propos de la carte magnétique pour les artistes. Qui sont ceux qui y ont droit ?

Ceux qui en auront droit, sont les sociétaires du Burida. C'est-à-dire ceux qui y sont inscrits. Cela englobe tous les arts. Quand on parle du Burida, l'on a le sentiment qu'il s'agit de chanteurs ou de musiciens seulement. Non ! La carte magnétique sera chargée tous les mois du montant des droits de l'artiste qui pourra le consulter sur un site Internet partout où il sera en déplacement. L'artiste a la possibilité de visualiser son compte, savoir combien de disques ont été vendus, les droits qui seront attachés à cette vente.

Quelle est la place des interprètes dans tout cela ?

Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas aujourd'hui pris en compte dont les interprètes. Mais, nous allons modifier notre dispositif légal au niveau réglementaire pour nous adapter à la situation. Il y a beaucoup de droits qui ne sont pas perçus. Je ne sais pas si le projet déjà élaboré est sur le bureau du gouvernement. Je vais le vérifier. Ce qu'il faut savoir, nous avons travaillé sur un projet pour inclure tous ces secteurs qui échappent encore au droit d'auteur.

L'Etat ne va certainement pas laisser aux artistes le Burida et les artistes réclament sa gestion. Votre point de vue là-dessus ?

Mon point de vue n'est pas différent de celui du chef de l'Etat. Ce serait un sacrilège ! Parce qu'on ne peut pas imaginer que des gens qui produisent ne puissent pas maîtriser l'instrument de leur production et ne puissent pas aussi maîtriser la façon dont ils seront rémunérés. De la même façon dont le chef de l'Etat avait promis de céder le pouvoir aux paysans de ce pays en leur rendant les filières agricoles, de cette même façon je pense que tous les secteurs doivent pouvoir se prendre en compte. L'Etat n'a pas pour vocation de se substituer aux particuliers pour faire ce que ceux-ci doivent faire. Mais, le rôle de l'Etat c'est de les éduquer, les former, les préparer à cela parce qu'ils vont être confrontés aujourd'hui à d'autres artistes du monde. Aujourd'hui, combien de CD et K7 sont vendus ? De nouveaux supports existent. Si nos artistes continuent de vendre avec les anciens supports, ils vendront seulement en Côte d'Ivoire et pas ailleurs. Ainsi compris, le Burida sera cédé aux artistes. En revanche, l'Etat ne se retirera pas parce qu'il a le devoir de pérenniser cet instrument.

Le chef de l'Etat a fait savoir en 2004 lors du FICA, la création de l'office du cinéma. Peut-on savoir l'état d'avancement de ce projet ?

Le cinéma est également un secteur important dans notre politique et le chef de l'Etat veut en faire un point d'honneur. Le projet de création de l'office du cinéma est prêt. Ce document est aujourd'hui sur la table du gouvernement. Nous attendons que le front social se calme pour le présenter en conseil des ministres. L'office du cinéma sera une réalité cette année.

L'on constate une pléthore de maisons d'édition du livre. Existe-t-il une politique à votre niveau pour réguler l'édition en Côte d'Ivoire ?

Nous sommes dans un système libéral. Dans une économie libérale, on ne réglemente pas tout. Du moins, on prend des dispositions pour que la concurrence, qui est importante pour le système, se fasse de façon loyale. Il faut laisser les initiatives se prendre. Ce que nous avons à faire, c'est de déterminer les critères d'opération dans le secteur. Ce que l'Etat doit déterminer c'est de savoir qui est éditeur, distributeur, auteur. Comme cela est pour la carte du journaliste, de la même façon nous avons un projet d'ordonnance qui est sur le bureau du gouvernement pour déterminer de façon claire qui fait quoi dans le domaine. Parce que vous ne pouvez pas être tout à la fois. Si tel est le cas, vous faussez les règles de la concurrence. C'est ce que nous cherchons à régler. Cela sera fait au plus vite pour permettre à ce secteur vital de notre culture, de notre économie de pouvoir vivre. Il faut donner un coup de main à ce secteur parce que l'édition c'est la littérature, l'éducation, l'instruction. S'il n'y a pas de livre ou s'il y a des livres qui ne correspondent pas à la politique d'éducation du pays, il est évident que nous n'allons pas maîtriser l'évolution de notre jeunesse. Et demain, nous ne saurons pas quelle société nous aurons.




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