mardi 17 avril 2007 par Le Front

Aujourd'hui, nous évoquons dans notre dossier sur les transhumants de la politique ivoirienne, les cas Kabran Appia et Paul Akoto Yao, deux anciens ministres de la République. Ces deux personnalités, qui étaient naguère considérés comme des modèles pour la jeunesse ivoirienne, ont, au fil des ans, choisi la voie de la traîtrise, du reniement, de la cupidité et de la versatilité politique.


Les analystes et autres observateurs avisés de la scène politique ont encore du mal à comprendre et à expliquer l'attitude de Paul Akoto Yao, un pur produit du Pdci, qui subit, aujourd'hui, une humiliation suprême à l'Udpci. Pourtant, l'ancien député de Sakassou a connu toutes les promotions au sein du parti créé par son maître, Félix Houphouet-Boigny. Akoto Yao Kouadio Paul, premier ivoirien à obtenir une agrégation de lycée en sciences naturelles, rentre très tôt, dans les bonnes grâces du bélier de Yamoussoukro . A la fin de ses études, Akoto Yao est bombardé directeur de l'enseignement secondaire avant d'être promu ministre de l'Education nationale pendant près d'une dizaine d'années. Il devenait du coup, le plus jeune ministre du gouvernement d'Houphouet-Boigny des années 80. Dans le département de l'Education nationale, le natif de Sakassou opère une révolution, avec deux principaux atouts : le verbe et l'imagination. Toutes les velléités de grève des élèves sont vite étouffées par ce jeune ministre considéré comme le maître de la parole. Ses grandes capacités d'analyse, de réaction et

La descente aux enfers de l'enfant de Sakassou

d'adaptation, en plus de son intelligence, font de lui, le ministre le plus adulé et certainement le plus écouté du vieux . Au sein des populations ivoiriennes, Paul Akoto Yao était aussi crédité d'une bonne réputation. Mais, les malheurs de Pablo vont commencer à la suite du départ de Laurent Gbagbo, alors opposant redoutable au régime Pdci pour l'exil, occasionnant d'une avalanche de grèves dans l'enseignement secondaire et supérieur. Akoto Yao est accusé d'avoir facilité le départ de son ami dans l'Hexagone. Houphouet-Boigny pique une crise d'urticaire et vire son ministre de l'Education nationale du gouvernement. C'est la traversée du désert pour Akoto. Qui, pendant plus d'une décennie, restera sur le carreau. L'homme ne s'avoue pas pour autant vaincu. Il profite de sa série noire pour réfléchir et écrire plusieurs ouvrages dont lL'envol des tisserins dans lequel il dénonce les actions néfastes de prédateurs de la société. En 1993, quand Henri Konan Bédié accède au pouvoir d'Etat, Akoto Yao croit dur comme fer que l'heure de sa réhabilitation a enfin sonné. Cependant, les années passent, et le député de Sakassou ne voit rien se profiler à l'horizon. En 1998, Akoto Yao Paul décide de se révolter contre N'zuéba et son régime. Dans les colonnes d'un confrère de la place, il accorde une interview croustillante qui ébranle le régime Bédié. Je suis condamné à payer pour tous les Baoulé, mais je ne me laisserai plus faire , s'énerve-t-il. La république est en émoi. Henri Konan Bédié perçoit le danger et opte pour la négociation. Quelques jours après, Akoto Yao est nommé ministre des Affaires présidentielles et porte-parole du gouvernement. Akoto rentre dans les rangs et se met au service du prince des Nambê . Malgré son dévouement et surtout son ardeur au travail, la présidence refuse de lui octroyer des moyens conséquents. Akoto, ulcéré, adresse une lettre confidentielle au sphinx de Daoukro dans laquelle il dénonce l'attitude d'un certain Kouassi Yao, alors Sg de la présidence. Bédié ne réagit pas pour autant. Akoto Yao revient encore à la charge en attirant l'attention de N'zuéba sur les risques que Kouassi Yao fait courir au régime. Le député de Sakassou va même plus loin pour révéler que l'image de son patron et celle du régime sont gravement ternies à l'extérieur du pays. Et qu'il faille agir le plus rapidement possible, puisqu'un sondage, effectué à cet effet, montre que la cote de popularité du prince a considérablement baissé. Cette fois, Bédié prend la menace au sérieux et fait décaisser des fonds pour Akoto Yao. Un splendide bureau lui est offert aux II Plateaux, à proximité de l'école normale administrative (Ena). Le parlementaire cesse désormais de parler et opte pour la loi de l'omerta. C'est dans cette atmosphère que survient le coup d'Etat militaire de décembre 1999.

Akoto Yao et l'Udpci

Au lendemain de ce pronunciamiento, le porte-parole de Bédié bascule dans le camp du général Guéi. Il devient le conseiller politique du natif de Kabakouma et décoche des flèches assassines contre N'zuéba. Paul Akoto Yao se présente comme un pion incontournable du dispositif de Robert Guéi. Il restera toujours attaché au général, en dépit de l'insurrection populaire du Fpi qui l'a évincé du pouvoir en octobre 2000. Réfugié dans son village natal de Gouessesso, Guéi bénéficiera toujours des conseils de son aîné Akoto Yao. Qui réussit d'ailleurs à le convaincre de créer un parti politique. Ainsi, en février 2001, l'Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d'Ivoire (Udpci) voit le jour. Akoto Yao est nommé président par intérim par Guéi Robert. Il occupera ce poste jusqu'à l'assassinat crapuleux du général, le 19 septembre 2002, et même au-delà. Mais, fait curieux, au lendemain de la disparition de l'ex-patron du Cnsp, des sons discordants se font entendre au sein de l'Udpci. De fait, la tendance Akoto Yao, composée entre autres de Boni Claverie, Oulaï Tiabas Norbert, Kahé Eric, Bleu-Lainé Gilbert tente de récupérer le parti pour l'offrir à Laurent Gbagbo. Ce que réfutent les partisans de Toikeusse Mabri dont Alassane N'diaye, Blé Guirao, Dié Bonao Céline, Bernard Ourega, Blon Blaise, Kéi Rosa Ceux-ci somment Paul Akoto Yao en tant que président intérimaire d'organiser un congrès. Refus catégorique de l'ex-ministre de Bédié qui se propose même de limoger le SG de l'Udpci au profit de Noutoua Youdé Célestin. Au congrès d'avril 2003, organisé à l'académie des sciences et techniques de la mer à Yopougon, Mabri est porté à la tête de l'Udpci. Akoto Yao et ses partisans contestent la légitimité du ministre de la Santé d'alors et intentent un procès en annulation dudit congrès. La justice, saisie, a du mal à trancher le litige. Mais, ceux qui savent lire entre les lignes savent bien que l'ère Akoto Yao est bel et bien révolue à l'Udpci. Depuis lors, l'homme aux 10.000 proverbes est réduit à sa plus simple expression. Akoto qui a quitté le Pdci pour s'imposer à l'Udpci n'a plus que ses yeux pour pleurer. En Côte d'Ivoire, le cas Akoto continue d'alimenter les conversations. C'est l'exemple typique de l'échec de ?'l'intellectuel'' dans l'art de la politique. Akoto est donc une grande déception dans l'establishment politique en Eburnie. Il ne doit donc pas servir d'exemple aux générations futures, puisqu'il est enclin au reniement, aux volte-face spectaculaires, et surtout à l'incroyable cupidité.

Kabran Appia, un autre adepte de la politique du ventre

L'autre renégat dont le cas mérite d'être évoqué est, sans nul doute, celui de Kabran Appia Aimé, ci-devant, président du Mouvement alternative citoyen et par ailleurs député de Niablé. Jeune intellectuel, juriste émérite et titulaire d'un doctorat en droit, Appia Kabran est un homme qui allie le courage, l'engagement et le verbe. Originaire de Niablé, Appia a toujours vécu dans l'ombre du doyen Sansan Kouao qui est d'ailleurs considéré comme son père spirituel. Militant de première heure du Parti ivoirien des travailleurs (PIT), il réussit en un temps record, à faire l'unanimité autour de ses qualités de juriste et de grand débatteur. Membre du comité central du Pit, il est désigné par son parti pour le représenter dans le gouvernement Affi N'guessan en octobre 2000. Kabran Appia occupe donc le département juteux des transports sur insistance de Francis Wangah Wodié. Aux élections législatives de 2000, il bat à plate-couture le candidat du Pdci à Niablé, avec le soutien ?cuménique de son protecteur Sansan Kouao. Devenu ministre et député à la fois, Appia estime que le moment est arrivé pour lui de récupérer le Pit. Il man?uvre avec certains membres influents de son parti, dont le maire Yapi Yapo de Yakassé Attobrou pour évincer Wodié. Pour assouvir leurs noirs desseins, Appia et ses partisans brandissent l'argument de la légitimité du professeur et surtout de la validité des textes du Pit. La direction du parti ?'bleu et rose'' prend la menace d'Appia Kabran au sérieux et décide de lui régler ses comptes. En 2003, après la signature de l'accord de Marcoussis, le Pit décide ne plus le reconduire au gouvernement. Le parti cautionne un autre militant en la personne de Victorine Wodié, l'épouse du président du Pit. Appia considère cet acte comme un affront qu'il se doit de laver. Absolument. Il vilipende le président de son parti dans la presse et réclame un congrès extraordinaire pour destituer la haute direction. Mais, en attendant, en tant que député, il développe les thèses de la refondation à l'hémicycle. Alors même qu'il n'avait pas encore démissionné du Pit, Kabran Appia se met au service exclusif de Laurent Gbagbo et de la refondation. Il devient du coup, l'un des juristes-maison du chef de l'Etat. Appia prend fait et cause pour Gbagbo et apporte un soutien inconditionnel à la galaxie dite ?'patriotique''. Il excelle dans le développement des thèses ivoiritaires, sectaires et xénophobes en prenant soin de déverser à chaque sortie, ses diatribes contre Soro et ses partisans. On raconte, à cet effet, que c'est Kabran Appia et certains ultra-nationalistes du régime qui ont conseillé le bombardement de Bouaké en novembre 2004 au chef de l'Etat. Bref ! Le député de Niablé n'a jamais fait mystère de son aversion pour l'ex-rébellion. En 1995, l'aile dissidente du Pit conduite par Appia obtient l'organisation du congrès du parti. Patatras, avant la date fatidique, le député de Niablé subit la sanction suprême au sein de son parti. Il est suspendu par le comité central pour ?'faute lourde''. Malgré cette sanction somme toute justifiée, Appia brave la direction de son parti et se présente à l'hôtel Ivoire, le jour du congrès. Il est refoulé comme un malpropre par la police nationale. La mort dans l'âme, Appia Kabran rebrousse chemin et convoque le même jour, une conférence de presse au Plateau pour annoncer la création du ?'Mouvement'' alternative citoyen. En réalité, l'homme était un déstabilisateur au Pit, au profit du clan présidentiel : une taupe en somme. Son ambition était, semble-t-il, de récupérer le parti pour l'offrir au chef de l'Etat. Mais Appia Kabran s'est heurté à l'inflexibilité et à l'opiniâtreté d'un Francis Wodié déterminé à faire barrage à l'imposture. Aujourd'hui, le député de Niablé a fait contre mauvaise fortune bon c?ur, en animant le mouvement alternatif citoyen, dont les militants ne peuvent remplir une cabine téléphonique. A cause de sa tendance pathologique à la cupidité et de son goût prononcé pour le reniement, cet intellectuel confirmé qui était naguère perçu comme l'espoir de Niablé, a connu un échec cuisant sur l'échiquier politique national. Tout comme Akoto Yao, Kabran Appia est aussi le symbole de l'échec de l'intellectualisme dans l'art de la politique. Et pourtant



J. J.

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